Travail de notes sur l'article de P-H. Castel

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"Le transsexualisme est un syndrome complexe, dont l'appartenance même à la pathologie a été, au terme d'un processus que je voudrais retracer, remise en question avec plus ou moins de succès. Il se caractérise par le sentiment intense de ne pas appartenir à son sexe anatomique, sans par ailleurs manifester de troubles délirants (l'impression de subir une métamorphose sexuelle étant banale dans la schizophrénie, mais dans ce cas, elle est accompagnée d'hallucinations diverses), et sans bases organiques (comme l'hermaphrodisme, ou une quelconque anomalie endocrinienne). (…) Que le "genre" puisse le moins du monde paraître une notion plus claire que celle de "sexe"
consacre le triomphe en psychiatrie d'une conception sociologique particulière de l'identité, et à soi seul, ce fait exige une mise en perspective. (…) Désormais, la liberté de choisir son sexe vient au premier plan, comme possibilité de "construire son identité" sexuelle (…) accompagnée d'une dénonciation des obstacles à ce choix qui mobilise à des fins militantes, souvent avec bonheur, les instruments habituels de la critique des préjugés (comme la sociologie comparée, qui a justement mis l'accent, dans le féminisme récent, sur la distinction entre le "genre" socioculturel et le "sexe" naturel, ainsi que divers arguments biologiques qui relativisent le "dimorphisme" homme/femme).
Faire l'histoire du transsexualisme au 20ème siècle, à la charnière de l'histoire des idées, de la médecine, et des mœurs, est donc une tâche encore largement devant nous, tellement les questions préliminaires de méthode semble se radicaliser devant la singularité de l'objet, et la difficulté de savoir de quoi au juste on fait l'histoire. A l'évidence, décider qu'on ne doit ici faire que l'histoire des représentations, dans une veine foucaldienne, serait déjà prédéfinir l'objet pour l'ajuster à l'idée qu'on se fait de l'histoire."

Où il est question de l’absence totale de symptômes. Qui décide ici de l'appartenance même à la pathologie ? Toutefois, d’emblée, la définition est négative : de ne pas appartenir à son sexe anatomique, alors qu'il est clair qu'il s'agit du sexe social (ou identité de genre, femme ou homme en tant que médiation dans le champ humain global) dont on parle. D’emblée et pour situer le sujet, plusieurs remarques nécessaires.

1 – Si l’on devait faire l’histoire du transsexualisme avant le 20ème siècle, il nous faudrait à peu de chose près changer de planète. Prendre à témoin le transsexualisme, un objet peu ou prou totalement indiscernable dans la société globale, revient à placer, par exemple, l’entomologie comme modèle référent de la science occidentale et de la raison. Tout ce qui va suivre découle de ce grossissement ; or la raison n’est pas une position/situation de surplomb (comme l’avait été la religion) mais une discipline ;
2 - L’on a, en gros, une bulle d’une conception sociologique générale (ou universaliste) de l’identité et une conception sociologique particulière de l'identité de la psychiatrie transsexualiste, co-produisant une sous-catégorie d’individus, qui de cette particularité à ladite maladie, est devenue leur identité à part entière ;
3 - La confusion entre deux concepts, l’individu et l’identité oeuvrant une même réalité « composant un univers de déterminations sociales individuellement incorporées » (J-C. Kauffman, L’invention de soi), est très préjudiciable. Après avoir posé que le transsexualisme ne relève pas de la psychiatrie, il est postulé qu’il relève de la psychanalyse sans que ce titre ne soit en rien préciser d’aucune manière ;
4 - On discute ici d’un dogme reposant sur la société traditionnelle sur lequel il n’est pas question de revenir, semble-t-il ;

5. Le thème de la relativisation, présenté comme une menace n'a cessé d'être agité sous les nez…

Préalable

Ne pas appartenir à son sexe anatomique signifie que cet enfant, du fait même de la transmission de genre l'obligeant à un sexe social opposé au sien propre, se retrouve dans une situation d'une appartenance de genre qui lui est étrangère et qu'il doit acquérir par un mécanisme autre que le sentiment d'appartenance et de reconnaissance implicite. Le mécanisme impliqué est donc celui de l'apprentisage par coeur et du pur mimétisme, d'où le profil de personnes rarement à l'aise quelque soit la situation et ayant le sentiment de jouer et-ou de n'être jamais à sa place.

Ce faisant, il se voit en train de composer un rôle de la hiérarchie binaire, et seul l'assentiment d'autrui lui indique si le comportement est adéquat ou non. On me permettra, pour le moins ici, de douter quelque peu des semblants de thérapie qui, sous la plume d'une Chiland prétend guérir un enfant en convoquant leurs parents. On est à quelques lieues ici de l'incorporation. La violence du déni qui leur est opposée dans ces textes tiennent de la maltraitance théorique (T. Reucher). Le cadre binaire indiscutée et le silene sur ces maltraitances permet la conitinuiation de ces mdoèles dans la plus parfaite impunité qui repose sur une idée d'un "bon sens commun" ou l'évidence de ce que nous connaissons tous et toutes et, par ailleurs, de l'étiquette plus ou moins prestigieuse de sciences.


De la liberté…


Première confusion engageant une discussion. La possibilité de choisir son sexe est placée avant la possibilité de construire son identité, alors qu’il est clair que c’est cette dernière qui construit le sentiment d'appartenance à un groupe de sexe social auquel l'enfant se sent appartenir, tant du point de vue de son histoire personnelle que du point de vue de ses affinités. Choisir son sexe : si cette expression à un sens, c'est à l'âge de la conscience. Le point de vue dogmatique qui domine ce sujet en France engage le propos sur une individualité adulte, évacuant la construction inconsciente depuis l’enfance. Toutefois, sans l’offre sociétale, le changement en lui-même est non seulement impossible mais dans une certaine mesure impensable sans une tradition sociétale. Or, celle-ci n'existe pas. L’Histoire aura gagné cette première manche aisée face à cette rupture dans l’enfance entre ce qui se construisait personnellement chez cet enfant, et ce qui ne s’est pas fait dans le lien filial [c’est le sujet de Ma vie en rose, d’Alain Berliner]. D’où ce besoin de reconnaissance aigu que certains appelle une maladie narcissique [C.Chiland]. Mais placer et admettre la possibilité de construire son identité sexuée doit admettre au passage la perméabilité de la frontière des genres et éventuellement des sexes. Paradoxalement, c’est le transsexualisme qui fait émerger ce passage et l’identité transgenre moderne qui s'y installe.

Quant la difficulté de savoir de quoi au juste on fait l’histoire : le dimorphisme homme/femme a créé le dimorphisme sociologique sans place aucune et donc sans droit pour ces personnes en-dehors de ce régime biosocial. Il n’est pas question ici de refaire l’Histoire et ne concerne que ces histoires que les humains se jouent, font et défont. Toutefois, et à partir de ce préambule historique, il est patent que la discrimination et la stigmatisation sont au cœur de ce dimorphisme sexopolitique. C'est la stigmatisation dans l'analyse de la maltraitance théorique qui est clairement remise en cause dans la psychiatrisation obligée.

Les nuances que l’on aurait pu supposer entre ces deux pôles sont gommées et de toutes façons peu ou prou inexistantes dans la société réelle et ne relève pas du transsexualisme. Ne pas appartenir à son sexe anatomique suppose une appartenance entière au seul sexe anatomique. C'est l'appartenance qui définit le sexe vécu et non l'inverse. Le transsexualisme rejoint ici toutes les identités.

 

…à l'égalité obtenue de haute lutte


L'invisibilisation des préjugés est directement mis en face de la « liberté de choisir son sexe », notion se rattachant au transsexualisme moderne et à une certaine modernité libérale. Maintes féministes en viennent à hurler contre cette féminité impossible [des transsexuelles] réinstaurant cette symétrie figée, tout en visant la « féminité perdue » des FTM (transsexuels femme-vers-homme] et faisant l’impasse totale de l’égalité. Où l’on obtient une égalité sous condition sociale sous caution au régime biosexuel, tout en prétendant réfléchir éthiquement et philosophiquement de liberté chèrement acquise [et ne concernant que ceux et celles qui ont lutté ?]. Cette curieuse défense d’une féminité volée n’est pas seulement absurde, indue et illégitime, elle brouille ce sujet difficile. Les femmes savent, en effet, que la féminité est un objet hautement performatif et surtout, cette psychologie totalement construite que l’on peut, en un sens, voler et surtout violer. Et ainsi, Agacinski (Politique des sexes) : « Les femmes savent qu’elles sont travesti-es ». tout en professant une identité de sexe essentialiste, clairement hétérosexuelle. Les femmes et les hommes le savent-ils/elles en règle générale ? On est en droit de se poser quelques questions [in]délicates sur ce sujet, en effet hautement performatif. En règle générale, personne ne se pose cette question, qui n’arrange d’ailleurs pas. Cet inarrangement est pris à témoin [et pour référent] et non les transsexuel-les dans leur transgression et leur conformité…c'est dire que d'un auteur-l'autre, l'on retrouve surtout des options personnelles enchâssées dans un discours savant et-ou moral.

 

L'exclusion même sous la logique de l'exception


Les transsexuels seraient bien les seuls à disposer d’une telle liberté dans un tel faisceau de renforcements croisés rendant leur présence totalement improbable, et présents, les excluant du champ humain global.

La bisexualité psychique qui devait rendre compte de leur éventuelle [et très théorique] présence est liquidée au nom que, la médicalisation chirurgicale l’a coiffée au poteau [la fameuse « solution élégante » de Lacan à une insoluble résolution]. Il n’y avait qu’une seule catégorie qui pouvait historiquement se construire son identité sexuée et sexuelle : les hommes. Or, c’est de ce lieu que surgira la fracture première et décisive pour cet enfant. Désormais chacun peut/pourrait [mais ne le fait pas nécessairement] construire son identité. Sauf cette sous-catégorie pathologisée et ré-intitulée par certains "refoulement/refus de l’homosexualité" ou "homosexualité extrême".

L’on cherchera vainement ici une bisexualité psychique s’exprimant au sein de la famille, ce moyeu social central face à l’Etat dispensant normes sociales et exceptions identitaires. Paradoxalement, ce sujet trouve et gère sa solution au travers de l’Etat dans le suivi et la résolution administrative et juridique de sa nouvelle identité. Mais cette résolution évacue le problème de l’identité de genre en-dehors de ces sujets qu’elle psychiatrise pour des raisons de stratégie d'exception. Cette non-résolution sociale, notamment du travestissement et le choix afférent de choisir son sexe social, va prolonger indéfiniment cette problématique dans une résolution chirurgicale pour les identités trans' et intersexes. Ceci n'est pas vrai pour les identités transgenres se construisant un espace social distinct mais, du coup, triées du suivi des équipes dites officielles.


Le choix personnel du sexe fait penser au choix des parents du sexe de leur futur enfant que permettrait le même corps médical. Ce qui intéresse ici est une société abstraite de valeurs et des certitudes ancrées sur une linéarité sociohistorique et processus où le terme même d’identité à soi n’a de sens que dans son ancrage traditionnel. C’est comme si je voulais expliquer la société moderne avec l’outillage historique des siècles passés. Le second axe est celui d’une discussion sur le « moi » en inadéquation avec ce qui précède. Ainsi, il a suffit de divers arguments biologiques pour relativiser le dimorphisme sociohistorique homme/femme. Ce qui indique la provenance théorique : l’essentialisme ou la théorie du sexe de naissance procréatif dans le cadre cité. Un tel dimorphisme relève de la division biologique, mâle/femelle, non de la division psychosociologique homme/femme s’exprimant sur une échelle des identités et comportements.

Nous avons déjà quitté les sciences humaines et la philosophie pour une éthologie. Un détour surprenant permettant de contourner le fait que le constructivisme prend appui sur l’essentialisme. Il n’est nul besoin d’introduire ici divers arguments biologiques, ni dresser un inventaire d’un « positivisme biologique » afin de réifier ou relativiser un dimorphisme homme/femme, sexe/genre. Ce volet n’existe pas ici : c’est ce qui caractérise son abord et c’est en cela qu’il est cet extrême paradigmatique. Le fumeux éclairage que viendrait appporter le "transsexualisme" n'est rien d'autre que le vieux et maladif besoin d'être normal. Ou "normal". C'est selon.


"Aussi, plus modestement, je voudrais ici juste introduire une chronologie préliminaire des textes et des faits les plus marquants dans l'émergence de ce problème médico-sociologique, en suggérant une autre ligne d'analyse (…) liée à ses conditions idéologiques d'affirmation dans le champ social et scientifique. (…) Cet ennemi, c'est la psychanalyse. (…) Pour montrer l'incidence de cette polémique anti-psychanalytique sur la structuration du transsexualisme (…), je propose d'en périodiser l'histoire scientifique et culturelle en quatre phases.
* La première nous fait remonter aux origines de la sexologie, chez Magnus Hirschfeld, origines indissociablement scientifiques (avec une ambition taxinomique positiviste) et militantes, puisque la dépénalisation de l'homosexualité en a toujours été le but (but consciemment poursuivi ; car c'est un des buts des promoteurs de la sexologie naissante, qu'ils aient été eux-mêmes homosexuels, ou qu'ils aient rejeté les préventions de l'époque contre l'homosexualité). Le détournement freudien de la sexologie, pour les motifs qu'on va voir, leur a toujours paru infléchir leur effort dans un sens étranger à leur projet.
* La deuxième phase accompagne le développement de l'endocrinologie, qui est un des faits d'armes de la médecine scientifique entre les deux guerres. Elle voit la naissance de ce que j'appellerai ici le " béhaviorisme endocrinologique ", qui d'emblée va tenter de faire pièce à la psychanalyse. Il a fondamentalement préparé l'opinion à accepter la plupart des thèses sociologiques soutenues après 1945 sur l'identité sexuelle, et qui vont rendre possible le phénomène transsexuel.

* La troisième phase, qui court de 1945 à 1975, est la plus riche en événements. La tradition américaine de sociologie empirique et sa théorie de l'influence déterminante du milieu va conduire plusieurs chercheurs à explorer conjointement la question de la socialisation des hermaphrodites, des individus génétiquement anormaux, des très jeunes enfants mâles aux organes génitaux accidentellement mutilés, et des transsexuels. (…) La psychanalyse américaine, médicalisée à outrance, marquée par le culturalisme, a paru alors impuissante à éviter de servir de caution à la sociologie du genre, et a perdu la bataille, ne parvenant pas à défendre, pour des raisons épistémologiques fondamentales, le caractère pathologique d'un trouble de l'identité sexuelle purement subjectif.
* La quatrième phase s'ouvre, au milieu des années 70, avec la revendication libertaire d'une dépathologisation radicale du transsexualisme, et l'idée que c'est l'identité sexuelle elle-même qui est un préjugé et limite la liberté individuelle. Le rejet de la psychanalyse atteint alors un tel degré que l'idée même d'une solution psychothérapeutique au transsexualisme n'est pas loin de passer soit pour une fraude, soit pour un liberticide.
"


Aussi, plus modestement, je voudrais ici juste (dire) que l’ennemi, c'est la psychanalyse… et ce discours antipsychanalytique. Au fond, ce sujet émerge de cette bataille subjective d’idées, entre empirisme et scientisme, permettant une réification d'un trouble de l'identité sexuelle purement subjectif en pointant une fraude, ou un obstacle liberticide. On lira ici utilement la thèse de Gayle Rubin et Judith Butler, la Panique sexuelle (Ed. Epel), ou comment le cynisme, justifie la limitation des libertés élémentaires dans une égalité fondamentale inscrite dans la constitution démocratique en agitant peurs et phobies et désignant des boucs-émissaires dernier cri, passant de la spectaculairsation orchestrée par la société du spectacle (promptement dénoncée) à une spectralisation des mêmes sujets les plus en vue, c'est-à-dire selon les critères idiots de l'époque : à-la-mode. Vous voulez changer de rôle, de corps ou de vêtement, de sexualité ou de statut, de camp ou de monde, d'histoire perso ou de look, changer de sexe.

On prolonge ici la vieille tradition sophiste des cyniques. Le fait, en soi, est tellement banal, qu'il a lui aussi, sa tradition propre.

Autre étonnement, aussi peu suspect de tout préjugé aujourd'hui : l'identité sexuelle elle-même qui est un préjugé et limite la liberté individuelle. Cette morale destitue l’idée même d’éthique au nom d’un rationalisme triant les uns et les autres ; elle a d’ailleurs perdu son pouvoir [de dire la vérité et donc la symbolisation] de la même façon qu’elle l’avait gagné éthiquement en luttant contre les préjugés et les confiscations des libertés individuelles. Réduire le culturalisme à la médicalisation, et réciproquement, peut en effet se déprendre d’une version simplifiée d’un béhaviorisme pour une poignée de marginaux. Il n’y a donc pas assez de place pour chacun ?

Le terme de « perversion » utilisé tout au long de ce texte est ambigu. Je n’en donnerai que deux définitions. Freud l’avait désignée comme un comportement sexuel sans lien avec la procréation. Stoller le définira comme un comportement qui vise à faire du mal à autrui et en particulier aux plus faibles et vulnérables. Ce qui correspond à la définition donnée par Tom Reucher sur la maltraitance théorique que l'on fait subir.

 

L’enjeu des définitions et positions


"Comme on voit au titre, il n'est alors pas question de séparer le transsexualisme (le mot figure d'ailleurs enchâssé dans l'expression "transsexuel psychique") de l'ensemble des perversions, mais plutôt, d'une part, de séparer des formes d'homosexualité, et d'autre part d'établir que le transvestisme n'est pas une pratique spécifiquement homosexuelle, en vue de détruire l'homogénéité apparente de la catégorie d'"actes contre nature" (…) [et] (…) naturalise avec une force rhétorique irrésistible ce qui pouvait aussi bien paraître relever du simple vice moral. (…) La stabilité formelle et la régularité anhistorique des perversions dédouane du coup a priori les pervers, pour qui sait lire, d'une responsabilité quelconque : s'il n'y a pas d'"actes contre nature", c'est parce que la nature est partout présente même dans ses manifestations morbides, et que l'acte est imputé conventionnellement par la justice pénale, là où l'on a avant tout affaire à des impulsions irrépressibles. Il est évident que l'impossibilité de donner des limites au licite et au défendu qui reflètent un quelconque découpage objectif des comportements humains est déjà à l'œuvre chez Krafft-Ebing, Moll, Ellis ou Hirschfeld. C'est un procédé de relativisation d'abord innocemment épistémologique, mais finalement éthique, constant dans tous les travaux sur la perversion ; le "constructivisme social" actuel n'a fait que le radicaliser. (…) de donner librement la parole aux malades, et de respecter leur vécu subjectif pour ce qu'il est, dans sa "nécessité fatale propre."


Le procédé de relativisation d'abord innocemment épistémologique, mais finalement éthique. Ethique ? Cette dénonciation permanenten'a cesse de masquer la discrimination en agitant des hochets politisants. La parole aux malades est partout un facteur de progrès afin de déterminer les problèmes et d'apporter des solutions.

Puisque les pervers [sexuels ?] relèvent de cet acte contre nature [sexuel ?], le vice moral (les crimes sexuels de Dutroux donc?) pouvait les ramener, de force si besoin était, à la justice chaque fois qu’ils se dérobaient à la morale… On a un peu de mal à suivre ici. Et ainsi, de conclure (?) : « Un transsexuel est-il un délirant dont la seule manifestation comportementale facile à objectiver est l'espoir de changer de sexe ? Ou est-ce une personne qui émet un souhait non-pathologique, mais accueilli par la société de façon telle qu'il tombe parfois mentalement malade ? ».

Traduisons pour la forme : un consommateur lambda est-il un délirant en schant tous les dégâts désormais patents sur la planète et les autres sociétés ? C'est dire que ce régime d'asssimilation a besoin d'agiter sans cesse des fantômes.

Voyons le détail. Accueilli par la société ? Par qui ? Les contrôles permanents de psy autoproclamés, la discrimination, les ruptures familiales ?

Cette belle phrase en oublie les enfants, nie la discrimination en la courtournant et la retournant contre les plus faibles. L'incurie assimilationniste a ceci de précieux qu'est est cultivée, payante et savante. Ceci aurait dû permettre de dégager quelques hypothèses sur le devenir de ces personnes, mais ce n’est pas le cas. La bonne question aurait nécessité d'une solide enquête longitudianale qui n'existe pas en France car seuls les cas les plus visibles sont les plus fragilisés (en dehors des militants politisés et des scientifiques trans)

Pour le dire du mot d’une psychanalyste, C. Chiland : la psychanalyse n’a pas l’habitude de céder à ses patients.

La psychanalyse de Chiland n'en finit pas de ridiculiser une démarche d'aide à la difficile condition humaine. Une perle assurément tant la phobie égare de son propre aveu et sur lequel le silence sous la prétention de compétence est devenu chappe de plomb. Les véritables praticiens travaillent en silence quant à eux, loin de ce narcissisme intellectuel.

On ne peut mieux dire d'une discipline cherchant une nouvelle place dans le cadre de la médecine. Survisibles au moment de leur trajectoire, ils sont l’objet de ce que chacun redoute, l’humiliation en public propre à destituer toute socialisation. Chacun se faisant qui le défenseur, le juge et le porteur de bonnes valeurs que l’individu n’aurait qu’à endosser tel un habit neuf. La dimension symbolique manque à ce sujet, tempêtent cette expertise moraliste. En effet. La charge symbolique que véhicule cette destitution publique ou, à l'inverse, le courage de briser des chaînes, vaut pour l’exemple d'une épreuve que peu veulent ou peuvent passer. Syndrome du sacrifié garanti propre au christianisme. Et en effet, celui-là (celle-là), toujours isolée, tombe "malade". C’est dire que rien n’a été réglé ce que Castel appelle le respect de leur vécu subjectif promptement balayé dès la parenthèse fermée.

Les femmes ont été victimes de la même absence de respect et se fourvoyant aujourd'hui dans un assimilationnisme respectueux au nom de la parité politique et-ou de l'égalité indifférente aux sexes… tout en professant la différence des sexes (Agacinski, Badinter…). Comprenne qui pourra.

Le ré-enchâssement de la question trans' et intersexuel au psychique attendait sa réponse par la porte de l'appartenance positive dans la société et non une simple identification à un sexe social garanti sur facture et selon des caractéristiques qui… Chacun se guettant dans une méconfiance virant à la méfiance paraoïaque. Voyez ces trans qui se déguisent et désormais, transformés en femme ou en hommes, invisibles et ananoynmes (votre boucher, votre boulanger, ironise d'un ton badin et irnoncent Catherine Millot dans son opuscule Horsexe), peuvent vous duper…vous tromper…Ca ne vous rappelle rien ? Cetet dénonciation badine fleurte avec la création sur mesure d'un profil juif par les antisémites de tout poil.

La résolutionde la question trans advient avec la résolution chirurgicale et juridique en l'absence totale de place et de respect. Cette résolution est pourtant celle du modèle des interventions sur les personnes intersexuelles pour les faire correspondre à l'ordre symbolique binaire homme/femme. La question sociale intervient en fin de parcours avec la solution de la jurisprudence le réenchâssant dans le social via l’intégration et l’anonymat administratif alors qu’elle aurait dû commencer par là. Or, la psychiatrie a maintenu en permanence l’idée que le changement de papiers était également thérapeutique, intervenant après les interventions et renaturalisant si besoin était, la fonction liante et symbolique de l’identité administrative en postulant une « pathologie » que Castel croie réclamer contre ces mêmes psychiatres dans une politique du dos-à-dos dont il croit être l'arbitre.

La question psychique est restée en suspens et c’est cela que l’on prétend traiter en pointant l’aspect symbolique en lieu et place du lien social réel. Or, le transsexualisme est un sujet hautement social puisque la division sexuelle est sociale. En l’individualisant par la pire des méthodes [l’oubliette ou comment refaire le transsexualisme au 20ème siècle], cette individualisation à effet-gouffre a nié et oublié que ces sujets [sociaux] dans leur souffrance, allaient se cristalliser dans cette forme subjective faute de relation intersubjective normale et saine dans un sexe social d'élection. Et ainsi :


(…) Au contraire, Freud fut très tôt perçu comme le promoteur d'une nouvelle normativité hostile aux intentions libertaires des sexologues, parce qu'elle jetait par dessus bord la neutralité descriptive, et postulait des mécanismes psychiques à l'origine des perversions. (…) Or quelles que soient les mises en garde et les précautions de Freud, son sens aigu de l'inutilité de condamner médicalement l'homosexualité, il est patent que ses théories enveloppent bien une norme hétérosexuelle "œdipienne" propre à susciter une telle inquiétude. (…) Mais c'était, là encore, au profit d'une idée de l'homme, pas une idée de la liberté. Il y avait donc là en germe un désaccord sur la question de ce qu'est « scientifiquement » le sexe, désaccord qui ne cessera plus de s'amplifier.


On voit mal ce qu’un sexe scientifique apporterait dans un tel contexte entre ces deux idées si parfaitement posées ici. L'auteur est ce point perplexe qu'il se perd en conjectures. Comme si le travestissement [cet objet libertaire, pervers, un vice?] n’était finalement qu’un esquif sur l’eau du bain social. Inutile donc de se pencher sur cet objet "hautement performatif" selon les termes même de Butler (Trouble dans le genre).

Le féminisme et le mouvement homosexuel se sont dressés unanimement devant la même répression siliencieuse, refusant ce Continent noir parlé par autrui engageant des générations entières. Clairement, c’est le tour des identités trans*, ce nouveau label. Tout en évitant le problème dans un raccourci fulgurant : Freud avait prédit théoriquement la bisexualité psychique. Et la bataille théo-logique qui s’ensuit serait au seul bénéfice de délirants et de libertaires qui auraient dû se glisser dans la peau de cette bisexualité psychique à tout point de vue abstraite et théorique ? Que deviennent le statut et la conceptualisation de trangendérisme et de travestissement dans la population globale ? Certains n’hésitant nullement à cette condamnation médicale, par exemple Pierre Legendre, au nom de « l’humanité des jeunes ». N’est pas Deleuze et Guattari qui veut ; où la théorie naturaliste ou créationnaliste ressurgit.

 

Le sexe roi


Or, dans les années 20 et 30, la progressive découverte des hormones, et l'alternative biologique qu'elles offrent à la théorie de la libido, de la bisexualité psychique et du choix du rôle sexuel selon l'Œdipe, va susciter un engouement extraordinaire tant chez les savants que dans le public. (…) Grâce aux hormones, l'anormalité des conduites et des sentiments devient une question de dosage sanguin.


On évacue ici un naturalisme trop évident pur une métaphysique philosophique etéthique. Vous êtes un homme si vous avez une bite, une femme si vous avez un vagin… Trop simple puisque c'est ce que "réclament" désormais ces déviants stéréotypés et hyprabinaires. Or, c'est ce qui a conduit de prétendues thérapies à hormoner les intersexuels et les homosexuels pour les transformer en hétérosexuels. Bref, orientation sexuelle=identité en remplacememt du dogme naturaliste corps=identité.

Grace aux homones, les intersexuels sont devenus des femmes et des hommes entre virilisme et féminité du moment qu'ils se situent admistrativement dans un sexe social. Castel n'élève aucune voix ici. La mutilation des intersexuels s'intéresse personne. La mutilation des homosexuels hormonés pas plus. Ceci posé, quantité d'homos comme d'hétéros sont transphobes et nombre de trans sont homophobes et biphobes.

Ailleurs, on prend à témoin (Mercader, Chiland) pour séparer socialement les uns des autres. Le modèle politique de la famille comme noyau et moyeu de la société a liquidé la bisexualité psychique en gommant, comme avec le transsexualisme, la dimension psychique. Or, en la gommant, l’on a privilégié le binarisme biosexuel et lui seul dans un figement des rôles du sexe social (et non du seul genre puisque le sexe social condense et cristallise le sexe et le genre, le statut et le rôle, dans une unicité subjective et sociale) qui va prendre toute son autonomie. La peur de la féminisation, présente dans toutes les sociétés patriarcales est surtout une peur du contrôle, voire de la perte du pouvoir. Sans parler du dégoût que la féminité suscite à maints hommes alors même qu'ils ont directement contribué à ce dégoût. Curieuse application d'une performativité du genre que l'on applique à autrui et dont on ne voudrait pas pour soi. Significativement, un homme se parant de cette féminité (androgénité selon Castel) quitte le statut-identité d'homme pour la sous-catégorie de travesti que l'on peut humilier en toute impunité.

La bisexualité psychique à cet égard, fait plus peur que la bisexualité proprement dite, car elle contient la peur de la féminisation, réelle, fantasmatique ET symbolique, y compris chez des féministes dans leur peur d'un retour d'une féminité incontrôlable, car contrôlée par les hommes… ou des transelles… L'immaturité intellectuelle au service d'une morale sexuelle régressive … L’alternative bio-hormonale va exclusivement dans le sens qu’on lui imprime/dicte. Notre société ne contient aucune sorte de tradition [même larvaire] qui aurait permis ladite bisexualité psychique de vivre et de suivre son cours dans une identité transgenre (ou autre). Mais c'est cela même qui provoque peurs et contrôles préventifs. On convoque ici un objet absent censé occuper une place que le transsexualisme revendiquerait. Or ceci aurait permis cette émergence sous des conditions sociétales distinctes du transsexualisme moderne [la médicalisation chirurgicale par la porte de la marginalité, la souffrance isolée et autoanalysante]. Au lieu de cela, solitude précoce, déchirure à la puberté, isolement douloureux à l’adolescence. On est à mille lieux du modèle libertaire et en plein dans la période post-pubertaire dont la psychiatrie-psychanalyse n’a cessé de nous dire qu’elle était la période de tous les dangers. Sauf de celui-ci ?


Le transsexualisme ou le champ de course


Nombre d’auteurs transsexualistes affirment avoir guéri ou trouvé des sources de guérison de transsexuels par la voie de la psychothérapie (C. Chiland). L’autoguérison intervient parfois pour les personnes la demandant impérativement et si guérison il y a, c'est de leur fait. J'appellerai cela plutôt du refoulement et rien ne garanti un retour. Ce qui est le cas pour un certain nombre de personnes au bout de 10/20 ans. Quant aux autres personnes ? psychanalyse ou champ de courses ?

On oublie ici que l'on se prétend médecin et qu’il s’agit de soulager des souffrances ou d’aider des personnes à trouver leur voie propre, y compris dans la transgression des codes et us d’une époque?


En creux, la question du genre. Décollé du sexe, le genre n’a aucune validité selon cette théorie. L’hérésie [freudienne] dénoncée (Mercader, L’illusion transsexuelle, Chiland, Changer de sexe, H. Frignet) n’est pas nouvelle. Toutefois, la question sociale, non traitée, a laissé ce sujet en suspens. Aujourd’hui, c’est la question sociale elle-même qui est en suspens avec ce sujet. Sans compter la théorie de l’Œdipe, que ces sujets ne passeraient pas, et provoquerait [donc ?] ce curieux syndrome en surplomb ou ce surplomb en un curieux syndrome social à l’aune de la différence des sexes. Mais il ne l’était pas à cet aune puisqu’il relève du transsexualisme, ce "horsexe historique et sociologique de la différence-des-sexes. Le transsexualisme est horsexe mais on ne sait jamais précisément en quoi. Pour certains, il s’agit de leur absence totale de sexualité, pour d’autres, une folie de l’identité sexuelle, un délire ou de leur curieuse «croyance», etc.

La psychanalyse qui a mis à jour le transsexualisme comme produit de la psyché agissant (sur) le corps dans une symétrie du comportement, mais elle le place dans une symétrie inverse, inventant au passage un modèle d’inversion en référence à l’architecture sociale des genres [modèle socio-statistique], qu’elle appliquera à l’homosexualité puis au transsexualisme [inversion sexuelle et inversion d’identité sexuelle, pour ce dernier]. Il est vite apparu que ce modèle l’était au modèle social dominant. Y compris des sentiments comme architecture psychique et psychologique de l’homme et de la femme. Le dosage sanguin n’y peut rien puisqu’on est dans le lien sociale et symbolique, entre comportement observable [ce comportement efféminé : le féminin pose-t-il donc tant de problème ?], l’environnement [filial et global] et cette demande sur le physiologique et le symbolique, et non sur le biologique lui-même. Ce qui est opéré, c’est l’écran des dimensions affectives, sociales et symboliques, non le corps lui-même dans son unicité. A moins de considérer sa partie, le sexe comme le tout. Ce qui est opéré, c’est l’homme et la femme non le mâle et la femelle. Ce ne sont donc pas les fondements de la civilisation qui sont attaqués ; je ne dirai pas la même chose de cet étrange troc symbolique autour du transsexualisme/normalité

En s’appropriant du symbolique et en affirmant que le transsexualisme naissait en l’absence du symbolique, l’on n’a fait qu’en cristalliser la césure, puisque c’est justement le symbolique qu’il vise faute du social. Que l’une ou l’autre théorie ne soit trompée sur tel ou tel détail [plus haut, l’individu réduit à la somme des interactions comportementales ne vaut pas mieux qu’un sujet réduit à une théorie fonctionnelle de son « sexe de naissance »] n’y change strictement rien. Les personnes intersexuelles sont opérées sans leur consentement éclairé et les personnes transsexuelles, travestis et transgenres rejetées violement hors cette dimension socio-symbolique. Personne n’ayant répondu à l’interminable solitude en prise entre un modèle binaire, fortement assimilationniste, et un modèle d’intégration par l’autonomie [très relative]. Et donc :


Le choix de répondre à la demande d'opération telle qu'elle se présente dans la bouche des patients est commandé à l'arrière-plan par un faisceau dense d'assomptions théoriques : puisque le statut hormonal régit absolument le vécu mental (c'est le fond de représentations populaires et semi-savantes sur lequel on s'appuie), il n'y a pas à interroger la demande en tant que telle, c'est l'effet de ce statut, la preuve étant la conviction subjective du malade et son insistance à se faire opérer. L'argument compassionnel est si fort que jamais on n'interroge de psychiatres (en fait, c'est dans les années 60, pas avant, que ceux-ci se scandaliseront des décisions prises sans les consulter). Les malades ne sont pas fous, mais des homosexuels malheureux (ce malheur expliquant leur détresse psychique); pas besoin d'expertise extra-médicale hors du bon sens. (…) Benjamin, ainsi, ayant demandé une psychanalyse à Freud, se l'était vu refuser, Freud ayant, semble-t-il, attribué son impuissance à son homosexualité. De ce jour, Benjamin devint l'adversaire farouche de la psychanalyse, et chercha dans l'endocrinologie une thérapie alternative à tous les troubles sexuels. L'antipathie entre les deux manières de voir est dans ce cas une affaire d'individu à individu.


Cette critique en rond ne résout rien, à moins qu’il ne s’agisse que de théorie politique par son maillon le plus faible (le sexe) qui, en posant des barrières de nature sociale, à un rôle crucial. D’où sa longévité ? La théorie politico-sociale de l’égalité, cet autre maillon faible a beaucoup plus de mal d’où son extraction récente et convulsive ? La désagréable position du psychanalyste, responsable de ses patients a des revers certes inattendus, mais consentis dans un cadre extrêmement précise: la cure. L’empêchement équivaut à une rupture. Ce qui est engagé ici est la place d’un sujet souffrant cherchant une solution dans son histoire de vie transitant par une reconnaissance comme point d’appui non comme tremplin qui le propulserait directement vers une réassignation chirurgicale. La réassignation sociale, quant à elle, attend sa résolution collective. Certaines exceptions ne passant manifestement pas le transfert. Ni le contre-transfert. Qu’est-ce que l’impuissance, et quel rapport avec l’homosexualité de Benjamin vient faire ici ? Réponse des « malades (qui) ne sont pas fous, mais des homosexuels malheureux »… CQFD.

Les enfants repérés dans leur jeunesse, malheureux ou non, ont été liquidés dans cette définition du malheur hypocondriaque. Pourquoi sont-ils donc malheureux ces homos hors normes ? Réponse : ce « malheur expliquant leur détresse psychique ». Le rond-point explique pourquoi l’automobile tourne en rond. Concrètement, les transvestites se planquent toute leur vie. Ils sont essentiellement malheureux du rond-point ou l’auto est confondue avec le conducteur. Quant à ce vote, où il est question de psys scandalisés d’une décision en leur absence… Cette psychanalyse sociale serait-elle devenue propriétaire des sujets malades de discriminations qu’elle prétend guérir en la véhiculant ? La peur de l’homosexualité et de la féminisation est véhiculée telle qu’elle. Le rond-point devient impasse. Comme si féminisation et féminité relevaient de la même chose, mais c’est cela qui sera expliqué dans le transsexualisme féminin puis appliqué au transsexualisme masculin, y compris par le féminisme psychanalytique


John Money, à Johns Hopkins, domine de toute sa stature la période. Persuadés que les enfants ont leur identité sexuelle fixée irrévocablement vers 3 ans, il va légitimer la procédure de réassignation sexuelle encore en vigueur aujourd'hui (…) Que l'identité sexuelle résulte essentiellement d'un apprentissage du "rôle de genre", et que l'"identité de genre" en découle, cela ne sera plus guère remis en question. (…) Même le psychanalyste et psychiatre Robert Stoller, qui, à Standford, avec Garfinkel, va initier les premières prises en charge de transsexuels, ignore la rare clinique psychanalytique sur l'hermaphroditisme. Celle-ci plaide pourtant pour une construction de l'identité sexuelle personnelle extraordinairement résistante aux éventuels démentis anatomiques ; il n'est pas évident, ainsi, qu'il faille toujours régulariser par la chirurgie les organes génitaux des hermaphrodites. (…) Ils auront toutes pour effet de consacrer définitivement la distinction du "sexe" biologique et du "genre" psychosocial. On est ce pour quoi l'on "passe" dans l'interaction sociale, l'identité sexuelle n'échappe pas à la règle.

Plusieurs ici choses. Mais d’abord concernant l’intersexualité dotée d’une « construction de l’identité sexuelle personnelle résistante aux démentis anatomiques ». C’est exactement le profil des identités transs* et intergenre. On est ce pour quoi l’on « passe » ? Pour qui ? Examinons le détail. La règle commune reposant sur des us ne supporte ni transgression ni dérogation. Castel indique : « Que l'identité sexuelle résulte essentiellement d'un apprentissage du "rôle de genre", et que l'"identité de genre" en découle, cela ne sera plus guère remis en question. ». Cela indique que nous sommes dans le pouvoir symbolique d'une vision essentialiste (le "sexe biologique") que condense l’identité administrative. Stoller réfléchissait à partir du modèle binaire et remettait en cause la partition normal/pathologique qui enchâssait (mais sans vraiment expliquer) de telles exceptions, non le modèle lui-même, et à partir des théories freudiennes sur les identifications [d’où cette recherche marginale sur un modèle maternel et fusionnel, influant sur le féminin et le masculin et leurs possibles «inversions» non pathologiques], du moins un modèle large acceptant des exceptions qu’il va peu à peu creuser.

Parcourant la «rationalité médicale» sur les interventions sur les intersexuel-les, l’on trouve ceci : « le choix d’un troisième sexe est irréaliste. » [Claire Fékété, La Recherche, Le sexe, hors-série - 2002]. Justification et légitimation dans une étroite coopération pour le bien de… ? On peut faire le même constat chez Chiland convoquant sans cesse l’intersexualité victime de la «nature» en face-à-face d’une transsexologie transgressive et agressive. Or, l’un et l’autre sont dépendants de la même conception du Moi au travers du même prisme théorique décontextualisant. La nature s’est peut-être trompée mais l’appui théorique et politique de ces interventions, en l’absence totale de débat, certainement pas.

On voulait résoudre dans l’intersexualité ce possible troisième sexe [comme pendant de la bisexualité psychique, finalement liquidée par Freud dans un retour spectaculaire au tout bio/logique]. Le résultat est pire. Non seulement ce troisième sexe [physiologique] émerge des interventions elles-mêmes [elle le met en relief à force de le dissimuler/opérer], mais ce système le fait par la liquidation de l’ancrage biologique, ce «naturel», pour un schème biologisant du corps [mais un corps sexuel, entièrement définit pas ce constructivisme de l'identité sexuée/sexuelle]. C’est dire qu’il est doublement travaillé de l’intérieur : biologique ET naturel. L'hormonation et les opérations sur les intersexuels pour rectifier une "erreur de la nature"… faite au régime social de la division sexuée.

Toute la galaxie de ce sexe troisième va arriver par cette double porte dérobée en créant des microsocialités sous des formes très diverses. Les actuels forums sur internet en sont un exemple récent. Les quatre étapes de l’auteur en illustre toute la sinuosité et la difficulté. C’est peu dire si l’apprentissage du rôle du genre dans l’éducation aura joué contre, et c’est d’ailleurs là, l’un des appuis principaux de la théorie psychanalyste : celui de ce genre impossible surgissant d’un nul part qui l’oblige à cette torsion du genre et du sexe qu’il faut inventer/construire de toutes pièces à partir de rien, ce horsexe. Ce qu'il est subjectivement puisqu'aucune tradition ne vient l'accueillir. Très précisément d’une partition binaire excluante a priori : il n’y a que deux sexes et rien d’autre. Et c’est finalement de nul part nul lieu, ce "rien d’autre", que va surgir la pathologie sociale. Le transsexualisme chirurgical apparaît dans ce cas pour ce qu’il est devenu : une gestion de cette implosion et un emplâtre sur une jambe de bois. Mais qu’a-t-on fait de la bonne jambe ?


Le véritable régulateur réside ailleurs, dans l’interaction des histoires de vie construisant l’Histoire dans toute son épaisseur. Je ne discuterai pas ici de savoir si c’est l’interaction qui « conduit » les individus ou l’inverse. Castel n’ira pas afin de vérifier sa plaisante théorie dans la rue revêtu[e] de la bure féminine. Il vérifierait alors ce pour quoi les interactions sociales ont un pendant terriblement efficace, brutal même, comme de la théorie politico-juridique sur les mœurs et l’ordre, construisant de toutes pièces un « comportement anormal » en des termes sociaux et juridiques qui vont emprisonner la solution qui aurait été la plus sage : laisser la bisexualité psychique, lorsqu’elle existe, se développer, comme toutes les autres identités, normatives ou non. Et ainsi, cette constatation d’une «sociologie minutieuse, quasi clinique» ( !?)… «aux rôles fonctionnels»…


Les transsexuels ne font que la confirmer. L'approche sociologique de l'époque est en effet d'emblée dépathologisante. Pas question pour Money d'accepter le cadre sexologique et médical traditionnel des paraphilies, parce qu'il est sensible à la question de la "déviance", autrement dit, des règles que suivent les individus stigmatisés dans le processus qui les met au ban de la société. On ne peut donc voir dans ces comportements de transsexuels des conduites "anomales", autrement dit, antisociales, et pathologiques en ce sens, puisqu'au contraire, ils gèrent rationnellement leur chances d'insertion comme leur risque d'exception. Que ces sujets soient adaptés, conscient du "rôle" qu'ils jouent, et qu'ils poussent même la complicité avec le sociologue jusqu'à décrire leurs conduites en termes de "rôle" et de construction identitaire, cela confirme l'intuition de départ : comme les hermaphrodites élevés dans un sexe social qui n'est pas leur sexe chromosomique, ils peuvent soulager leur malaise avec l'aide du chirurgien et de l'endocrinologue, et interagir de façon fluide avec autrui.

Anormal=antisocial… On pourrait croire que l’époque précédente était pathologisante puisque… Ou que le constructionnisme social avait besoin d’un ennemi franc pour trouver son assise. Le paradoxe saute ici aux yeux. Le transsexualisme arrive par ce double soupirail de la souffrance et la stigmatisation. L’une renforçant l’autre dans une addition addictive, ce parcours dévié [de la ligne droite ?], réduite ici à un simple malaise. Mais où est donc passée cette introuvable pathologie ? Dans cette ligne de fuite asymptotique ? Les transsexuels montrent/montreraient de toute cette « rationalisation » à quel point l’identité personnelle n’est autre qu’une gestion fluidique [mais avec qui donc ? certainement pas les praticiens ni la rue qui les montre du doigt ni le monde du travail qui rechigne] d’interactions sociales se renforçant mutuellement, régie par [et dans] cette auto-croyance d’être ce soi conscient, relatif à la santé mentale, elle-même dans une conception plus vaste, transcendant tous les individus… Sauf les trans… Il y a de quoi sursauter. La théorie, comme filtre d’une idée de l’homme et sa conception de lui-même, passe avant tout. La nature ayant horreur du vide, ce qui est arraché d’un champ repousse dans l’autre. A savoir, les anciennes oppressions, comme dans le racisme, se sont recyclées dans la lutte sociale ou d’idées pour le bonheur d'érudits. Or on est plutôt sur un chemin se découvrant plus que sur une construction en bonne et due forme. D’où ce piétinement caractéristique d’une vie en pointillé et en dents de scie. L’on voit l’intérêt de passer à côté de la théorie sociologique des interactions et notamment la loi du grand nombre, ce modèle statistique dominant, à cette « gestion de l’exception» gesticulant les préjugés d’une main pour justifier de l’autre la liberté dans un «relativisme ambiant». On sait avec le féminisme toute la domination sociale et symlbolique de ce modèle statistique; on sait également avec l'analyse du colonialisme et de l'ultralibéralisme la domination invisible derrière l'universalisme. Bref, la politique de la confiture aux cochons… S’il y a gesticulation, c’est que le relativisme, "ce monde pastel" des identités, n’existe pas ou demande une liberté d'être partout montré du doigt. La société du libertinage est en train de changer la donne mais est-ce la bonne manière ? Manifestement, c'est encore l'homme qui en est le pus souvent le maître d'oeuvre. La « fin des idéaux » [confondu avec –la fin de- l’idéologie] expliquant qu’il est décidément pas possible de conduire (en rond ?) sans code de la route respecté par chacun. Idem des couleurs… Quitte à se poser la question mais pourquoi donc avez-vous obéi à ces interactions vous piégeant ? L’on voit à l’horizon toute la subtilité entre une idée de l’homme et une idée de la liberté. Vous étiez libres des interactions sociales, mais non de la transgresser car l’on sortirait de ladite liberté (donnée) en escamotant celle de l’humain (non donnée).


La diffusion mondiale de l'histoire de Georges Jorgensen, le GI devenu Christine, grâce à Harry Hamburger et l'équipe danoise de Christian Hamburger, et qui fut élu "femme de l'année" en 1953, va alimenter en retour la réflexion sociologique sur l'identité sexuelle et la relativité des catégories du genre avec des situations vécues de plus en plus nombreuses. (…) Ce problème est d'ailleurs évident : les transsexuels qui se disent "satisfaits" des conséquences des opérations chirurgicales sont évalués sur des critères les plus objectifs possibles (adaptation sociale mesurée par l'emploi, la stabilité, etc.). On n'en envisage pas d'autres, et surtout pas l'évaluation interpersonnelle et subjective que les psychanalystes réclament. On ne considère pas, en particulier, le fait que la prise en charge psychothérapeutique est un succès quand elle prévient ou retient le transsexuel de se faire opérer. L'échec à le guérir de son malaise psychique est imputé au psychanalyste, tandis que la solution mutilante irréversible, parce qu'elle fait disparaître les motifs allégués par le patient de son malaise est versé au crédit de la technique chirurgicale (15). Mais est-ce le bon problème ? Que la société trouve son compte dans les résultats des opérations, cela vaut-il solution d'un problème psychiatrique, argumentent les adversaires de ces procédés ?

Georges Jorgensen, le GI devenu Christine… Mal aux dents ? Le GI en question grattait du papier dans les casernes… Christine Jorgensen a été victime de sa soudaine reconnaissance orchestrée par les medias sensationnalistes. Elle fut surtout un modèle de tempérence et de discrétion dans sa vie, chose qui manque tant à ce sujet.


Une évaluation « interpersonnelle et subjective que les psychanalystes réclament» dont l’auteur précise que: «Tout dépend en fait de critères éthiques implicites (la définition du mieux-être) et de l'idée de la subjectivité qu'on se fait.». Qu’on se fait ? Pourquoi indiquer ici une définition de critères éthiques implicites, ce mieux-être, puisqu’ils ne sont pas prise en compte ? De l’évaluation objective [l’intégration dans un rôle ne se superposant pas avec le soi que les femmes connaissent si bien, même après l’autonomie], Castel ne peut la retenir puisqu’elle validerait le propos et se retranche derrière cette demande «interpersonnelle et subjective» des psys. Quels psys ? Quel est le contenu ? Cet échec à guérir un malaise imputé à la psychanalyse ??? Cette demande n’est pas faite aux psychanalyse, mais à la psychiatrie. Cette stupéfiante découverte repose sur la seule plainte ininformée d’une poignée de victimes, une plainte non entendue et dirigée, en général, vers la société globale qui ne veut justement pas d’eux. Sauf à cette condition du transsexualisme chirurgical, en effet car elle semble (se) reconstruire sur le modèle ambiant et je partage le même étonnement ici. C’est dire si les stéréotypes figés du régime hétérosexuel [ne s’avouant jamais comme tel] peut produire ce sujet par omission et pression. On préfère des trans semblables à ce tout-le-monde [dont chacun se plaint] plutôt que ces travestis et homos, efféminés ou non. Castel n’ira pas analyser [mais les féministes essentialistes pas plus, ce que le terme d’efféminé contient de déconstructeur. Des femmes efféminées sans doute, qui ignorent qu’elles le sont et ne veulent surtout pas savoir. On est très loin de du yoyo de S. Agacinski qui affirment que les femmes savent qu’elles sont travesti-es (en femme?). Quant à l’échec de la thérapie, elle ne tient pas tant à la psychanalyse [quelle psychanalyse, quels auteurs ?] qu’à l’impossibilité de séparer le transsexualisme moderne de l’époque puisque celui-ci n’a aucune existence ni personnelle ni sociale en dehors des codes sociaux avant ladite modernité


Que quelqu'un se sente "satisfait" de passer pour une femme, avec un néo-vagin et des doses massives d'hormones, est-ce une guérison, la preuve du bon effet d'un traitement, l'effet prévisible (neutre sur le plan médical) de la satisfaction d'une demande insistante et ancienne, ou la preuve définitive qu'il est fou ? Tout dépend en fait de critères éthiques implicites (la définition du mieux-être) et de l'idée de la subjectivité qu'on se fait (il est évident qu'après l'opération, les possibilités de réélaboration personnelle du vécu transsexuel sont réduites à néant), et qui commandent la lecture des résultats d'enquête mesurant la "satisfaction".


Rien de tout cela n’est très « satisfaisant » ? Pour qui ? Rien n'a été fait ni pensé en aval, comment prétendre traiter l'amont, lorsque les critères éthiques implicites sont plaqués sur une historicité des identités naturalisées. La raison toute subjective tient au mieux-être, cet espoir de bonheur paisible ou passionnel, cette marque de l’humain… Quant aux possibilités de réélaboration personnelle du vécu transsexuel, elles n'existent tout simplement pas puisqu'il y a pas de vécu transsexuel mais une maladie troublante…Quelles seraient ces autres possibilités ? Pas un mot.

 

De la norme de santé mentale

Mais les réponses des psychanalystes, quand on leur a demandé d'offrir des étiologies alternatives à la réduction sociologique ont été en général extrêmement faibles, parce qu'elles ne parvenaient pas à accommoder le principal problème que pose une sous-catégorie précise de transsexuels (ceux dit "primaires" parce qu'ils manifestent le syndrome dès la plus petite enfance, et qu'ils n'ont jamais rien voulu, en toutes circonstances, que répudier leur sexe : l'absence de conflit psychique patent, et la tranquille assurance que leur problème est social (comment faire accepter aux autres une évidence?), pas mental (16). Même Stoller, le mieux informé des premiers théoriciens psychanalystes du transsexualisme, en s'efforçant de donner une signification psychanalytique à la notion de "genre" selon les mêmes lignes que Money (en comparant transsexuels, hermaphrodites, enfants aux organes génitaux mutilés, etc.), a dû construire une doctrine dont il ne cesse lui-même de signaler le caractère hérétique pour un freudien, parce qu'elle part de l'absence de conflit intrapsychique chez les transsexuels. Mais comme il insiste sur l'impossibilité d'objectiver la clinique qui lui permet de la soutenir, et que ses données sont souvent indirectes, ou hasardeuses comme toute psychanalyse, jamais son travail, malgré sa prudence et son bon sens, n'a pu inquiéter le paradigme dominant de la "satisfaction" des transsexuels opérés. A la limite, en faisant des concessions majeures à des savoirs extra-psychanalytiques, et en usant de notions aussi problématiques que l'imprinting des nourrissons par leur mère, à la Lorenz, ou à la théorie de l'apprentissage social, Stoller a plutôt signé l'arrêt de mort de l'autorité de la psychanalyse dans ce domaine : chacune de ces explications peut être substituée à toutes les autres explications qu'on trouve chez Freud (à l'Œdipe, au refoulement, etc.), et aucune n'a besoin de s'enraciner dans l'inconscient.


Où l’on voit comment psychanalyse et psychiatrie, médecine et endocrinologie sont imbriqués aujourd’hui dès lors que l’on se met à écouter (?) des patients. Et qui guérit quoi ? L’on ne s’apercevrait même pas ici que ce mixte d’imbrications à la limite du déchiffrable s’appelle d’ordinaire de la culture. D’où ce transsexualisme où l’essentiel réside dans le fait de passer pour… se fondre dans cette interaction sociale qui divise les êtres en deux sexes-genres au lieu de… et lamine tous les espaces vacants de ces milliers de genres distincts dans l’épaisseur culturelle des sensibilités. Et non plus selon une échelle statistique (objective). Mais voilà une chose bien difficile pour la raison, ce continent informé de lui-même. Le transsexualisme primaire serait le premier problème et ce premier coin. Voilà qui signerait la liquidation totale [au sens marketing du terme] de la problématique sociale, non du problème humain. Mais ces deux dimensions sont totalement confondues. Que [la théorie de] l’apprentissage social soit cette notion problématique, voilà autre chose qui signerait radicalement le renversement. Castel ne cesse de postuler sous la foi de la psychanalyse, tout en admettant ici qu’elle est souvent indirecte et hasardeuse, se reposant également sur le « bon sens ». Celui que postulait déjà ces féministes pressées d’en finir avec le patriarcat ou cette homosexualité normative, pressée de se débarrasser de ces efféminés après avoir hurler contre la normalité étouffante ? La normalité est décidement un objet problématique bien encombrant.

Si le transsexualisme ne se satisfait de rien (sauf de lui-même à l’âge d’enfant), c’est aussi et surtout parce que cette absence de conflit intrapsychique le structure dans l’inconscient, ce que fera remarquer Money et Stoller, et ne le distingue pas des autres individus de la population globale que Castel mesure « à une norme de la santé mentale » (plus bas). Mais quelle est cette norme ? Le tri opéré dans ladite norme [le tradition en matière de hiérarchie des sexes, la croyance en une identité découlant du seul sexe ?] fera le détail des uns et des autres. Castel ne croie pas à cette absence de conflit, ce qui l’obligerait à reparler de l’inconscient, sans rien céder à l’irréversibilité que contient en germe la bisexualité psychique, et le ramène à un problème social en détournant le regard vers ce qui lui apparaît un alibi ou « comment faire accepter aux autres une évidence ? ». Non, justement, ce n’est pas une évidence. Ledit problème disparaît au cours de la puberté la plupart du temps, et ne réapparaît qu’à l’âge adulte pour la plupart des cas. Le non s’est solidifié dans le refoulement. Rien ne distingue alors cet enfant d’autres enfants. Après tout quantité de problèmes créent cette inadéquation qu’on peut [très éventuellement] détecter. La plupart du temps, c’est un diagnostic d'homosexualité qui est posé. Il faut bien que ce qui a été contenu depuis la fin de l’enfance, jusqu’à ce surgissement adulte, vienne de quelque part et ce quelque part est dans l’inconscient et certainement pas dans une mesure objectivement mesurable quant à l’adaptation à un rôle ou un emploi. Celui-là n’est que l’écume sociale et dit, à rebours, ce que le social ne dit jamais. Pourquoi faire semblant ? Au moins, ce passage à un avantage, celui de ramener l’élément principal de ce débat difficile : celui de poser la question à hauteur des enfants. Mais Castel comme tant d’autres ne s’intéresse qu’à l’aspect adulte de la problématique et d'énoncer qu’il est un peu tard pour faire quelque chose et notamment parler, avant qu’il soit trop tard. En effet, il est « trop tard ». Rien ne viendra plus colmater la brèche, mais cela nous le savions déjà.


(…) C'est la reconnaissance d'un acte de transformation conçu comme un acte libre, mais formulé dans des termes qui permettent encore de le décrire comme un syndrome, et donc de préserver une zone d'expertise médicale (il faut vérifier que les patients ne sont pas schizophrènes) ; le problème est que l'anormalité symptomatique du transsexualisme ne se mesure plus désormais qu'à l'inadéquation sociale ressentie, pas à une norme de la santé mentale. Les avatars de la dysphorie de genre se frayèrent ensuite un chemin dans les nosographies officielles (les versions successives du DSM), dans le cadre global des "troubles de l'identité de genre".
C'est justement l'exigence thérapeutique qui constitue aujourd'hui la dernière frontière du transsexualisme. Dès le moment où la dysphorie de genre n'a plus de médical que le fait contingent qu'on la répertorie parmi des syndromes psychiatriques, il n'y a finalement pas plus de raison de l'y conserver que de conserver l'homosexualité parmi les maladies mentales. (…) Dans cette phase, à laquelle nous appartenons, l'instrumentalisation consciente et délibérée de la chirurgie et des hormones à des fins d'épanouissement individuel, de choix de style de vie sexuel dans le contexte général de l'émancipation des mœurs, et conjointement, la critique savante de la normativité dimorphique véhiculée par le féminisme militant, sont les grands points de repère. C'est l'époque du "transgender", où transsexuels, tranvestistes, homosexuels à la présentation volontairement ambiguës, mais aussi certains hermaphrodites, entreprennent une déconstruction ludique mais aussi politiquement armée des stéréotypes sexuels où s'aliène le désir.


Comment parler à la fois d’acte libre et de souffrance solipsiste engageant un tel remaniement ? et quelle est cette norme de santé mentale ? Elle ne peut exister ici puisque le transsexualisme est (conçu comme) une pathologie et l'objet de cette désignation d'un quelqu'un (qui) se sente "satisfait" de passer pour une femme, avec un néo-vagin . Il faut donc la prendre où elle est, dans une totale extériorité de ce sujet. Or on prétend l’analyser de l’intérieur. C’est peu dire si l’inconscient peut manipuler de l’intérieur l’illusion d’un moi s’analysant. En bref, puisqu’il est déjà trop tard, mieux vaut administrer un remède de cheval ? Mais lequel ? Ces traitements de choc qu’ont été l’hormonation, les électrochocs, les vomitifs ? Revoir Family life de Ken Loach… Remarquons ici la « déconstruction ludique (…) où s'aliène le désir. ». Quel désir ? Pour qui ? Une « instrumentalisation consciente et délibérée de la chirurgie et des hormones à des fins d'épanouissement individuel, de choix de style de vie sexuel ». Bref, l’individualisme porno*
contre le social propret. Mais alors, cette étude que nous propose l’auteur sur la vie de D. McCloskey, enseignant et professeur d’économie : un simple individualisme ? L’autonomie du désir, cette parole engagée, peut quant à elle de nouveau se rhabiller de la bure de LA norme de santé mentale. La cible n'était pas seulement le transsexualisme mais toute cette galaxie sexuelle.


Deux éléments essentiels émergent ici. Le premier, c'est le conflit ouvert qui oppose les défenseurs d'un transsexualisme "assimilationniste", où le but étant de se fondre dans le sexe visé, l'état transsexuel est une pure transition, et les transgénéristes, pour qui la réfutation agie des stéréotypes sexuels est un but subversif en soi, et qui refusent donc de les reconstituer "de l'autre côté" sous une forme inverse. (…) C'est le militantisme féministe et homosexuel qui a offert son modèle aux organisations transsexuelles (et transgénéristes) de la seconde génération, dont l'ambition n'est désormais plus de fournir l'accès à la réassignation sexuelle à des individus isolés et dépourvus d'information, mais bien de lutter contre la discrimination économique, ou policière, etc. (21) Les émeutes du "Stonewall bar", à Brooklyn, en juin 1969, qui opposèrent plusieurs jours d'affilée des homosexuels à la police, sont le fait d'armes fondateur de ce militantisme ; on oublie souvent qu'elles furent au départ le résultat d'une mobilisation de transvestistes et de transsexuels, victimes d'une homophobie plus large, mais dont ils étaient les cibles facilement identifiables. De sous-culture semi-clandestine, vouée à faire circuler les "trucs" auxquels les médecins détenteurs du pouvoir d'opérer étaient réputés sensibles (histoires de vie typiques, pratiques à dissimuler, etc.), le transgénérisme est devenu peu à peu un mouvement libertaire aux vastes ramifications, notamment académiques et littéraires, qui s'alimente à la tradition associative et communautariste américaine, et utilise Internet dans la veine des protestations pour les droits civiques des années 60. Un de ses prolongements les plus intéressants est le mouvement de protestation qui s'est organisé contre la réassignation chirurgicale des intersexuels, mutilés pour satisfaire des stéréotypes conformistes du genre (22). Or, ce ne sont pas les anciens arguments psychanalytiques qui sont ici invoqués : au contraire, le transgénérisme, avec sa contestation sociologique du dimorphisme sexuel semble fournir l'essentiel des arguments.


Ce qui précède est sans doute valable aux USA mais certainement pas en France. La confusion des uns et des autres dans une absence totale de connaissance du milieu associatif est hurlante. Rappeler ici que les transgenres et transsexuelles étaient victimes de l’homophobie et de la violence policière arrive un peu tard. Personne ne s’est ainsi penché avec une telle assurance sur leur sort et c’est ceci qui a signé leur revendication. Entre autre, à partir de Stonewall aux USA. La France attendra la fin des années 90 en prenant acte des associations européennes et non du militantisme homosexuel. Ce dernier ne peut répondre au transsexualisme mais seulement à sa visibilité sociale. En effet, les «anciens arguments psychanalytiques» n’ont plus à être invoqués tant la chose est passée dans les mœurs et notamment dans la veine des protestations. Il fallait bouger avant. L’exception signe ici la règle, rendant survisible une liberté extorquée pour légitimer un régime liberticide à leur encontre. Curieux procès. La France n’est pas les USA. Leur seule autonomie actuelle est de faire le lien entre les personnes toujours isolées vers le suivi psychiatrique obligé.


Pour faire oublier ici l'existence médicalisée et contrôlée des intersexuels, on convoque le transsexualisme, ceux-ci appelant une analyse de l'homosexualité suivant là un schéma décidément classique. Le militantisme homosexuel et, en particulier, féministe [avec J. Butler notamment] ne s'y est pas trompé. Lorsqu'on examine les arguments des chirurgiens opérant les intersexuels, l'on retrouve le refus moral et social d'un troisième sexe. Si la contestation sociologique du dimorphisme sexuel sert à dénoncer la violence étatique et sociale qui n'a strictement rien de légal, alors elle a atteint son but. La rappeler ici sans la prendre en compte n’a aucun sens.

 

De l'instrumentalisation


Malgré les conflits de surface, il est cependant patent que l'approche sociologique et la quête d'un soubassement neuroendocrinien ne se contredisent pas : il est devenu scolairement trivial d'écarter les oppositions nature/culture exacerbée dans le cas du transsexualisme, au nom de leur complémentarité. En revanche, si un strict déterminisme s'exerce sur les sujets, si leur sexe psychosocial n'est pas plus en leur pouvoir que le fait d'être gaucher ou droitier, alors leur est ouverte la porte de la reconnaissance juridique de leur statut, et les ménagements dus à une minorité sexuelle opprimée. C'est dans cette direction que se tournent aujourd'hui les organisations de transsexuels, mais elles n'obtiennent guère plus que des mesures de protection déduite du droit fondamental à la non-intervention de l'Etat dans la sphère privée (au sens de la privacy anglo-saxonne). Désormais, les deux conceptions du transsexualisme, l'une, psychanalytique, qui continue à maintenir en invoquant une clinique de plus en plus précise, le caractère pathologique et très souvent délirant de l'espoir de changer de sexe, et celle du militantisme transgender, en pointe dans la lutte pour la reconnaissance légale, ne se rencontrent plus nulle part. Par bien des côtés, il semble que les psychanalystes veuillent en fait défendre l'existence même d'une psychiatrie qui mesurerait les troubles mentaux à une autre norme que l'acceptabilité sociale des déviances, tandis que les militants transgender dénoncent dans la psychanalyse un dogmatisme dépourvu de bases scientifiques qui légitime a posteriori des préjugés conservateurs. Ces anathèmes réciproques reflètent une difficulté exemplaire de nos conceptions anthropologiques : sont en lutte celles qui relèvent d'une vision de l'homme comme individu libre, transparent à lui-même, instrumentalisant la science pour accomplir un projet dont il est seul responsable et qui se mesure à des idéaux hédonistes, et celles qui voient dans la transparence prétendue de la conscience une illusion radicale, dont la sexualité et l'identité sexuelle non-choisies sont les pierres de touche, avec une méfiance pour la technologie médicale qui refabriquerait l'humain. Comme ces deux options sont des options morales, il serait très hasardeux de considérer que l'une ou l'autre puisse être définitivement vaincue (au moins dans le cercle historiquement défini de notre culture et de notre société).

 


Et quel autre cercle serait possible ? L'Occident conquérant à contribuer à effacer la socialisation ternaire dans nombre de société. Telle est la question qui a puissamment motivé chacun dans ce débat difficile sans aucune réponse de la part des possédants. Dans les forces en présence, pour qu’il y ait un conflit, il faut deux forces symétriques en présence. Ce n’est pas le cas. La quête d’une norme de santé unique a conduit aux pires extrémités. Que l’approche sociologique ait besoin d’un tel soubassement, ce dont je doute, souligne à quel point l’approche biosociale est toujours dans les esprits, au point de falsifier des pans entiers de la recherche.

De cette remarque, postulant un "individu libre, transparent à lui-même, instrumentalisant la science…", on n'en saura pas plus. Cette illusion typiquement occidentale (?) a donné lieu à des bibliothèques entières. Comment le résoudre ici ?

 

Maud-Yeuse Thomas

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