Du
cadre des savoirs
Tapant
sur le mot-clé de recherche 'transsexuel', je tombe sur un lien
unique (http://psytrans.free.fr/) destiné à vendre le
livre d'un sieur Pascal Fautrat. Un bien curieux livre. Je centrerai
cet article sur le cadre de production d'un savoir. Première
ligne de la 4e de couverture :
On
peut aujourd'hui disposer de son sexe
…et pour justifier une telle approche, le titre, De
quoi souffrent les transsexuels? y répond d'emblée
dans l'énoncé de son cadre d'étude, une Psychopathologie
clinique et changement de sexe.
Longtemps
sourdes à la demande transsexuelle, la médecine et la
loi françaises apportent désormais des réponses
concrètes aux personnes souffrant dans leur identité
de genre. Sous des conditions strictes, il est en effet possible de
recourir à des traitements hormonaux et à la chirurgie
pour modifier ses attributs sexuels, changements que l'état
civil peut ensuite entériner.
Exercice d'une liberté fondamentale ou funeste mirage ? Remède
ou mutilation ? "Mon corps est une erreur de la nature"
déclarent les transsexuels. "Dénier son sexe est
pathologique" répondent les psychiatres.
…le
vieil alibi de l'erreur délirante ou de l'excuse poubelle. Au
passage, notons que l'erreur naturelle de l'intersexualité se
passe également de l'avis des intéresséEs et se
heurte au même binarisme qui justifie les mêmes traitements
et opérations. Or, ces traitements font des intersexuels des
transsexuels du point de vue de cette analyse centrée sur la
chirurgie et non des hommes et des femmes.
Dénier
le sexe est pathologique en effet. La "guérison" engagée
dans une thérapie, échoue faute d'espace d'une socialité
ternaire dans laquelle l'autonomie subjective, requise au développpement
et donc au devenir.
C'est ici qu'intervient la psychopathologie
: les transsexuels sont-ils malades ? Et dans l'affirmative,
de quoi souffrent-ils ? Si la demande transsexuelle est de l'ordre
du délire, y répondre est alors illégitime. Mais
dans le cas contraire, s'opposer au traitement hormono-chirurgical
constitue une non-assistance à personne en danger. Le débat
est donc à la fois aussi simple et aussi complexe que cela.
Toute
la dimension de la filiation, de l'appartenance et de la socialité
manquent ici. On traite ce sujet lorsqu'il est au fond de son impasse,
d'où la centralité de la souffrance [qui viendrait "constituer
la personne en lie et place d'une identité" P-H. Castel]
dans l'économie de cette psychothérapie ne tenant pas
compte d'une personne mais d'un transsexuel au sens binaire du terme,
c'est-à-dire un "quelqu'un horsexe" sans existence
sociale..; puisque horsexe. Le sujet est réduit à un objet
de circonférence ceinturant son propre vide qu'il s'est créé
lui-même. Luminieux ou comment isoler un individu se sentant un
monstre. Sinon qu'en appuyant cette autodésignation meurtrie
du trans. Du coup, se penchant sur un gouffre et en y regardant, on
est happé. La fascination tourne à vide. De même,
la nécessaire subjectivité ancrée dans une histoire
de vie est zappée ou recentrée entièrement à
un futur changement… de sexe. Bref, le transsexualisme expliqué
par le changement de sexe. Il en découle que le transsexualisme
est une spécificité résolument moderne. La contraception
sexuelle moderne l'est aussi. Les trans sont-ils malades ? De solitude,
de misère affective, sexuelle, intellectuelle, sociale…
plus que nécessaire en effet… Causes ou effet, conséquences
directe ou indirecte ? Peu importe, ils/elles se plaignent. C'est l'essentiel.
Désormais
disponible en librairie, l'ouvrage de Pascal Fautrat dresse le panorama
des principales recherches en psychopathologie menées sur le
changement de sexe, discours critiqués et mis en perspective.
A
un détail, anecdotique mais quand même… On disserte
toujours à distance. Fautrat promet une analyse de Stoller et
de Lacan. On ne gardera que Lacan… Il n'est plus besoin d'effectuer
des suivis, voire de rencontrer des gens.
Au
delà des arguments et des prises de position, il interroge
les rapports complexes qu'entretiennent psychologues et psychiatres
avec les transsexuels. Car ici plus qu'ailleurs, le praticien qui
cherche à maîtriser son sujet n'est pas à l'abri
des émotions et contradictions humaines — en tout premier
lieu desquelles la dyade fascination/répulsion.
A destination des médecins, des travailleurs sociaux, des thérapeutes
tout autant que du grand public et des transsexuels eux-mêmes.
Au-delà
des positions ? La lecture du livre m'a quelque peu surprise. Si certains
passages concernant les abus, dérives et effraction des praticiens,
sont les bienvenus, reste que l'auteur réaffirme une psychopathologie
et un exercice du contrôle dans lequel, sans contrôle sur
lesdits praticiens (et quelle pratique? quelle résolution?),
ces abus sont commis.
Cela
nous rappelle que la quasi totalité des essayistes ne sont pas
des "praticiens". Disserter du transsexulisme dans une société
qui les considère au mieux comme des exceptions, ne peut que
co-produire cette exception là-même.
Un
livre pour les transsexuels eux-mêmes…? Fautrat a le mérite
de reposer le cadre de la fascination/répulsion mais non le sujet
contenu dans ce cadre qui justifie une psychiatrisation de leur existence
:
De
quoi souffrent les trans ? d'un cadre les enchâssant dans une
psychopathologie sociale d'une binarité refusant de distinguer
l'objet de toute son attention (la production de savoirs et le cadre
institutionnel d'une carrière) du sujet qu'il examine. L'auteur
a trouvé la solution : il faut se pencher
au chevet de ses patients et les écouter en empathie et humilité.
Les
écoutant à partir d'une grille de lecture les pathologisant.
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