des
films
The crying game
Le film de Neil Jordan, présente une coiffeuse transgenre (non
opérée, la question de l’opération n’est
pas soulevée, la distinction entre transsexuelle et transgenre
n’est pas faite) dans le cadre du conflit Grande-Bretagne/Irlande.
La relation entre la coiffeuse et les deux soldats (un Anglais et un
Irlandais singulièrement « manqués » en tant
que soldats) ne semble possible qu’à la condition (et c’est
aussi le ressort du film) que la coiffeuse puisse passer pour/comme
une femme. Ce ressort et déclic permettant entre autres de situer
une charnière dramatique (en terme d’esthétique
cinématographique) au moment où le soldat Irlandais, innocent
sexuellement, découvre le zizi de notre coiffeuse. Moyennant
une séance suggestive de vomi, symbole du dégoût
d’une réaction stomacale, l’histoire peut reprendre
le fil d’une violence meurtrière entre les deux pays. Ici
nulle réaction d’estomac. Nous sommes entre hommes, des
vrais, qui tuent et torturent pour l'Histoire. L'espace historique de
la guerre est sans commune mesure avec le gouffre insondable de l’inversion
transsexuelle provoquant le vomi devant le zizi imprévu. A lui
seul ce dégoût illustre le gouffre de la sédimentation
du modèle entre un « vrai » et un « faux ».
Ce qui structure le sujet est moins la question de l’opération
(ou non) de réassignation sexuelle que la catégorie «
femme » que symbolise l’appartenance à un sexe-genre
social exhaustif. Le moindre indice s'écartant du modèle
idoine provoque le doute. Le transsexualisme se symbolise ici non dans
une transition (ici "homme-vers-femme") mais de la seule présence
du pénis. Ce qui est la théorie du cadre et des limites
nécessaires. Ce ressort est d’ailleurs si bien huilé
que le soldat, pour la protéger, doit la travestir en homme (dans
la dernière partie du film). De soldat manqué, il devient
(l’homme d’) action qui protège. Basculement donc
de part et d’autre de l’impossible passage entre les rôles
traditionnels actif/passif et réaffirmation de la barrière.
Toutefois, l’impossible passage est ici conjoncturel. L'événement
dicte la conduite. La protection ne réside pas dans une protection
armée mais dans la structure sociale elle-même. En fille,
"il" est survisible, en garçon, "elle" est
invisible. L'apparence, synonyme d'anonymat, est suffisante s’opposant
dans ce contexte -métaphoriquement la société-en-guerre-
à une profondeur inconsciente –métaphoriquement
le bar de nuit, embrumé et coloré où elle chante.
Le personnage illustre une identité dite transgenre, avec une
composante extravertie très forte et son monde est celui d'un
double lieu : celui du cabaret où « il/elle » (visible
en tant que tel/le) vient chanter, celui de son travail où elle
(invisible) officie dans un salon de coiffure. Ce film chevauche le
cadre et les limites nécessaires et son prix : la guerre et le
terrorisme, sujet contemporain s'il en est. Plus que jamais, il faut
choisir son camp dans un conflit de possession historique.
Au
vu des événèments de cette guerre de religion frappant
l'Irlande et l'édification d'un mur séparant catholiques
et protestants à Dublin, on se dit que la bipolarité exclusive
(qu'elle soit de genre, de sexes, de confession ou autre) est et reste
le chaudron producteur de bien (de tous ?) des conflits.
Boy dont cry
L’histoire de Brandon Teena, une "fille qui se faisait passer
pour un mec dans un bled paumé de l’Amérique rurale".
A lui seul ce résumé vaut le détour et une raisonnable
crainte quant au contexte. On suppose que l’Amérique urbaine
se porte mieux. Se faire passer… Le comportement délictueux
n’est déjà plus très loin dans cette manière
de présentation. Si la coiffeuse de Crying game doit se laisser
couper les cheveux et se travestir en garçon pour échapper
à la mort, Brandon subit un viol collectif puis un meurtre. Le
cadre construit dans ses grandes lignes le déroulement dans la
société telle qu’elle est dans cette Amérique
profonde, nous explique-t-on. Ce film aborde la question des meurtres,
assassiner pour répondre à la question de la norme et
de la transphobie : culturellement acceptable ou non. Ce meurtre relève
autant de la justice que de la psychanalyse. Il touche au cadre formateur
et les limites psychosociologiques engageant l'expérience des
relations hommes/femmes informée par l’histoire de la différence
des sexes dans son inégalité historique. Si l'on peut
violer, on peut tuer ? Cette expérience touche à
la compréhension que les sujets-trans ont de leur « sexe
» dans la bipolarité exclusive de l'Occident. Le cadre
se confondant avec l’expérience intime. Que des critiques
de cinéma en France aient confondu (?) massivement transsexualisme
et homosexualité à sa sortie me paraît être
une curiosité de taille ou pour parler psycho est le symptome
du déni. Le "bled paumé de l’Amérique
rurale" a joué manifestement un rôle culturel massif
de déni : on est loin de tout et le transsexualisme comme phénème
extrême en est l'expression aboutie… Logique des extrêmes
qui se percutent. Forcément. Et notamment des luttes sociales
pour l’égalité des sexes sociaux ainsi que l’égalité
substantielle des vécus. Ou bien, peut-être n’était-ce
qu’un film, une fiction… ou le film d’une fiction
bien particulière que l’on a coutume d’appeler transsexualisme.
Ou encore le « triomphe du virtuel sur la réalité
» appliqué à la différence de sexes. Le terme,
cristallisé dans un modèle de compréhension et
conceptualisation qui ne se reconnaît pas comme tel, voire s’y
refuse, tient lieu de justification à la violence faite à
un groupe repéré. Violence socialement répréhensible
mais symboliquement (?) acceptable pour des raisons de « fondement
de société ». Bref son mythe. Ou son indécrottable
illusion. L’impossible passage est ici structurel. Il est surlié
à la question de l’inégalité dans la différence
des sexes sociaux comme de la conscience de son corps propre dans l’expérience
vécue. La négation étant résolue et débouchant
ici sur un meurtre réel.
Ces deux films mettent en scène un être social impossible
dans lequel le sujet minoré dans son expérience propre
se noie, et proposent un portrait psychologique introverti, représentant
la majorité de ces personnes. Majorité doublement silencieuse
qui ne prendra jamais la parole. La souffrance est essentiellement une
exténuation silencieuse, passive, que les individus devront un
jour prendre en charge, la plupart du temps, seuls. Et seul, devra prendre
en charge la transgression explicite de ce surlien sexe-genre.
Ceux qui m’aiment prendront le train
Chez Chéreau, c’est le maillage social traditionnel, dans
les tentatives très naïves de son personnage (naïveté
et traditionnel vont souvent de pair ici) qui négocie sa transition
dans un groupe soudé temporairement autour d’un mort et
l’enterrement et permet à Viviane de se faire accepter,
au moins temporairement, sous le sceau de ce rassemblement lui aussi
invraisemblable. Fictionnel donc mais selon un mode affectif : ceux
qui m’aiment… Seul l’instant impossible ou suspendu
de la transition intéresse Chéreau dans ce film.
Chez Chéreau, cela transite dans le symbole du régime
cisgenre - la scène où le bottier (J-L. Trintignant) chausse
Viviane d’une paire d’escarpins rouge vif, tout en montrant
son personnage nu dans sa baignoire et toujours pourvue des attributs
sexuels mâle. Bref, le transsexualisme comme modèle du
sexe-rôle engoncé par et dans les attributs du carcan féminin
(l’escarpin tendant le corps dans une inconfortable position de
cambrure, antinaturelle au possible) et dénoncé par les
féministes (Chiland, Mercader, Agacinski, Mathieu).
Tout
sur ma mère
Pedro
Almodovar semble bien le seul à (re)présenter une transsexuelle
adulte avant Wild Side et Thelma, représentative d’une
personnalité extravertie, loin des clichés psy et média
tout en y puisant comme matière à éclairer une
émergence paradoxale. Avec Almodovar, l’on va, progressivement,
du drame sanglant vers la comédie légère. Il y
reviendra toutefois avec son dernier film, La mauvaise éducation.
Son personnage n’est pas le lieu d’un drame qui viendrait
éclairer un cadre (la guerre ou un bled-loin-de-tout) mais un
devenir somme toute aussi banal que bancal, comparable à d’autres
ainsi placé dans une situation de stigmates. En première
lecture, schémas et caricatures au propos. Le schéma d’émergence
et de visibilisation sociale suit là celui des homosexuels, de
la rue (voire de la prostitution) à la visibilité dans
une remise en scène de soi. C’est une comédienne
en herbe, passant de la prostitution (les bas-fonds de la société)
aux mises en scène de nos existences, qui nous présente
sa manière bien à elle d’être une trans public
(théâtrale dans tous les sens du mot) d’un soir :
faire le compte et le coût de ses opérations. Un one-trans-show
dans l’esprit d’un Horror picture show. Au moins sommes-nous
bien renseignés sur ce qui peut se faire et surtout ce qui peut
se défaire du corps, relevant de la performance artistique à
la Orlan, des modifications corporelles des Modernes Primitifs ou plus
banalement des stars hollywoodiennes et des classes moyennes et supérieures
occidentales. Almodovar aime les femmes. Toutes les femmes dans une
culture ouverte, faite d'excès. Du numéro transformiste
d’un juge hétérosexuel travesti dans Talon aiguilles
au transsexualisme, Almodovar nous rappelle que ce théâtre
n’est pas mort. Il puise au mythe du forain (étymologiquement,
l’étranger, l’alien), ce comédien bouffon
itinérant en marge mais également à cette tradition
entre exhibition de monstres, d’êtres déformés
de naissance ou par la culture en passant par les intersexuels. Le transsexualisme
est chez Almodovar, une performance socioculturelle et sémantique
autant qu’une personnalité atypique, énigmatique
et donc, sujet au questionnement et à la curiosité, tant
positif que malsaine voire perverse. Exposer ses opérations,
c’est risquer de se voir accuser de monnayer sa vie. Le cadre
l’indique déjà avec la pratique de la prostitution.
L’identité est toujours une hypothèse individuelle
: elle n’est confirmée et devient « réelle
» qu’avec une longue négociation entre la définition
et le consensus, entre le monde sensible et le monde objectivé,
créé ou à recréer. Bref, entre le réel
de l’identité et le vivant de l’identité.
Toutefois, il en montre sans cesse les limites d'une définition
arrêtée, imposée de l’extérieur comme
de l’intérieur, qu’elle soit en marge ou non. Chacun
dans son rôle, tout en remuant ciel et terre pour trouver la paix,
cherchant à se ressentir et se voir dans le regard de l’autre
(ce qui est la définition première de l’identité).
Le rôle chez Almodovar est sans questionné, bousculant
le modèle naturaliste reposant sur l’idée fondatrice
du monde via la procréation et sa fonction sociale, la reproduction.
D’où toute cette discussion sur la définition de
la féminité et d’où proviendrait cette improbable,
impossible féminité venant du dehors de la transmission
par l’essentialisme. Almodovar postule : elle ne cherche pas à
passer pour une femme mais une trans… Une trans comme d’autres
femmes féminines et féminisées. Sa différence,
sans place et sans rôle définitivement assignés
dans l’héritage historique, elle occupe dans la vacance
du monde bipolaire sans opter pour un quelconque et bien fragile continuum
du fait de la bipolarité sociale et individuelle imperméable
et opaque. On meurt toujours du Sida chez Almodovar (le travesti de
Tout sur ma mère). D'une certaine façon, en faisant le
détail des opérations, Almodovar postule un continuum
fabriqué du fait des conditions « pousse-à-la-femme
» en voulant vivre cette féminité intérieure.
Il montre les conditions de cette intégration binaire et bipolaire.
Par ailleurs, l’actrice l’est dans cette permanence hors-norme
et horsexe (au sens binaire) : dans la mise en scène d’un
œil très éclairé sur cette ambivalence de
ce tiroir à double fond : passer mais tromper, tromper mais se
trouver, trouver mais transgresser, transgresser et se mettre à
nu, en danger et risquant tout.
En arrière fond, le statut distinct de la transsexuelle et du
travesti malade du sida que fait le cinéaste en les distinguant.
Le rôle du travesti est clairement joué par un homme et
l’on voit, effectivement, un homme sous l’épaisse
couche de maquillage. Le rôle de la transsexuelle est jouée
par une femme et l’on a aucun doute à ce sujet. Dans cette
distribution, Almodovar questionne les attendus de la différence
des sexes comme modèle référent et ses exceptions
qu’il place sur la corde raide de ces attendus. Le travesti, malade
du sida et plus encore rongé par la douleur de sa trahison et
disparition, évoque le mode moral en face duquel la transsexuelle,
forte de sa différence assumée semble jongler sur le fil
en crête tendu sur la Différence des sexes. Il nous donne
à voir le mouvement où les modifications corporelles tendent
à épouser la construction surnormative du corps genré
pour en montrer toute l’édification dans ses constructions.
Les opérations subies pour « être une femme »
suivent d’assez près les opérations esthétiques
de nombre de femmes, exception faite de la conversion sexuée.
On ne peut manifestement critiquer l’identité sans la déconstruire.
Dans un registre différent, le statut d’une religieuse
enceinte et donc, le statut de la sexualité autorisée
ou non selon le rôle et la place occupée. Almodovar tranche
là où l’individu hésite : dans le départ
au prix de la solitude.
Almodovar met en scène la blague ontologique au mot près.
Celle d’une tradition artistique, empruntant aux rites sociaux
de la représentation ordonnée en rôles et rapports
sociaux de « sexe », l’informant et le dictant. Il
met en lumière les tensions d’une politique visant à
invisibiliser une classe particulière d’individus. En bref,
derrière le théâtre d’ombres de la société,
il montre comment se fabrique l’union sacrée du sexe (le
biologique) et du genre (le psychosocial) et comment ses modes de renforcements
se mettent en place sur la place publique, la constituant en union dans
ce que la société considère comme acceptable ou
non, l’instituant de fait dans une sacralité/naturalité
qu’elle croit intouchable et inviolable. La vie, l’invraisemblable
vie, tapie derrière les portes attendant son heure.
Thelma
Sur
Thelma, je retiendrais ma rencontre avec l’actrice, Pascale Ourbih,
dans le cadre d’une projection du film et cet échange de
dialogue entre Vincent et Thelma, les deux principaux protagonistes.
Vincent
: entre les drags-queens, les drags-kings, les travestis, les transsexuels,
t’es qui, toi, exactement ?
Thelma : Je suis une femme.
Vincent : Ça te plaisait plus d’être un homme ?
Thelma : Je ne sais pas de quoi tu parles.
Vincent : tu conduis pas mal, pour une femme.
Cet échange est tellement banal qu’il en est insultant,
non pour la dignité, celle-ci appartient aux personnes réelles
et n’ont ici à être défendues, mais pour la
valeur de la culture elle-même, ce qui relève de la singularité
et de l’humanité. Tu conduis mal pour une femme…
Le travail de fourmi d’Erving Goffman contre l’abstraction
universaliste saute aux yeux. Reste la liste ci-dessus et la réponse
de Thelma auquelle il m’aurait plu de répondre : tu
ne sais pas de quoi tu parles.
Ce qui est et reste problématique n’est autre que l’intégration
selon les conditions de l’occupant faisant verser le transsexualisme
dans la catégorie ‘conflits’ et-ou ‘nouveau
et intéressant’ susceptible de régler des vieux
comptes de la différenciation des genres via la médiation
du sexe social. Un vieux débat remanié ici sur cette passerelle
: le changement de sexe. Il détient toutefois une originalité
sur les précédents films, qu’Almodovar n’explorait
qu’avec les travestis (notamment dans Tout sur ma mère,
le travesti malade du sida). Thelma, non opérée, a eu
un enfant avec une femme dans sa jeunesse. Le film dans sa seconde moitié
explore l’impossible retrouvaille sous le regard de la toute jeune
adolescence (dix ans) qui demande son père. Mais l’analyse
reste en deça de cette problématique centré sur
un road-movie de deux errances mises à mal.
Interrogée, Pascale Ourbih me dit son combat contre des scènes
inopportunes et des stéréotypes machistes sur le transsexualisme
dans ce film. Et en effet, la trame générale est celle
d’un regard masculin stéréotypé d’un
bout à l’autre. Y compris dans les retrouvailles des deux
femmes. Jeunes, elles se sont aimées, un enfant est née.
Le seul sujet intéressant ? Une visibilité qui a toujours
du mal à passer tant la croyance dans l’identification
sur le sexe biologique est forte. De fait, le financier principal, également
distributeur s’étant retiré, le film est passé
inaperçu. Sollicitée pour le casting de Wild side, Pascale
a préféré attendre d’autres scénarii
en espérant sortir du rôle de femme trans avec cette question
: est-ce possible sans papiers ? Une autre actrice, J. s’est vu
refusée un rôle en raison de ses papiers d'identité
le désignant comme homme. Autre exil. De la fiction au réel
donc.
Wild
Side
Les personnages ont le mérite de leur mouvance propre, fut-ce
au travers de ce trio composite : angoisse, errance, rupture. A l’ombre,
cet autre trio de la découverte sexuelle, de retrouvailles et
de renouement : Stéphanie avec sa mère, son pays d’origine,
son premier amour. Leur histoire est surtout une histoire particulière
d’exceptions culturelles (un maghrébin, une transsexuelle,
un exilé de l'Est), suivant là le modèle multiculturel
en devenir, mis à mal dans/par une société bloquée
par ses pathologies et non « en rupture de la société
». Ce terme est ambigu, lourd. Il induit une déchéance
sans issue. Les trans aspirent à la société globale
dans pour autant tous prétendre à la norme commune si
mal partagée, objets d’une identité anormale, esclaves
d’une construction horsexe les marginalisant.
On en oublierait ici que cette marginalité angoissée et
errante s’effectue au nom d’une administration gestionnaire
des corps, propriétaire d’existences : le principe d’indisponibilité
des personnes en tant que régime politique s’appuyant sur
l’appartenance abstraite. Le thème de la liberté
subjective confrontée à la réalité de la
loi traditionnelle en est le sujet de fond traversant, autant dans ces
histoires strictement individuelles que dans cette région du
Nord en totale déshérence. De même, la mère
mourante demandant à sa fille de lui reconnaître une place,
dit cette même appartenance à la loi traditionnelle. Loi
structurelle. Il n’y a pas de différence entre les deux
demandes. La mère est restée esclave et victime de ce
régime d’appropriation qu’elle ne comprend pas. Sujet
resté dans l’ignorance, à l’abri de cette
loi. La force de la trame de ce film tient à cette démonstration
simple de gestes impossibles dans l’énonciation même
de mots redisant la loi. Les dégâts de l’estime de
soi sont visibles et leurs relations convulsives. Comment se toucher
? Aucune ne se sent totalement libre de parler, de se toucher. Comment
se touche-t-on ? La tendresse échoue sur le roc de cette loi
archaïque. L’errance est tapie dans les trous obscurs même
de sa structure, hier florissante à l'image de la région
du Nord, aujourd'hui, nue et en déshérence. La fille dans
un monde sans limites, la mère dans un monde rétrécit
à une maison isolée. On s’épie au travers
des malentendus, tel ce « ton père n’aurait pas permis
», si révélateur d’une existence emmurée
et dépendante à la loi du père qui sait et parle,
donne permission et autorisation. La maison, comme taudis, symbole de
cet archaïsme. Mais au-dehors, dans cette région sinistrée
et froide, le pire est encore pire pour une vieille femme. Elle peut
mourir toutefois entourée mais sa fille décèdera-t-elle
dans des bras amis ? On peut se poser cette question : Trans=SDF /SDF=Trans
? Stéphanie nous dit
non. L’aspiration est une vérité intime, fût-ce
dans la transgression. Le cinéaste répond tout de go,
décidément non, partant d’archétypes normés
dans un face-à-face avec les archétypes marginaux sur
lesquels on prétend tout savoir et surtout du haut du mépris.
« Ici, il y a de la transsexualité puisque l'un des personnages
est transsexuel, mais ça s'arrête là. J'ai banalisé
cet état, cette nature des choses. Je n'ai pas voulu faire du
phallus de Stéphanie un événement dans le film.
C'est pour ça que je l'ai mis dans le générique
de début, pour éviter qu'on se pose la question, créer
une attente. En quelque sorte, il fallait me dégager du sujet
pour aller vers la personne. » (Portail : gaysurlenet.com) L’on
a trop longtemps surfer sur le mépris, ce voile invisible de
l’archétype normé montrant du doigt la prostitution
sans en montrer l’obligation marginale et se rattrapant sur un
transsexualisme comme d’un terrain vague poubelle. L’affirmation
de cette force à se construire seule, dans une militance trans
ou non, comme prolongement de cette existence libre mais paradoxale,
manque un peu pour raccrocher ce film au réel et en montrer toutes
les contraintes d’existence. Ceci est un autre film à venir.
Sébastien Lifshitz, réalisateur de Wild side commente
ainsi : « A partir du moment où l’on sait qu’une
personne est trans, l’on ne cessera plus de repérer les
stigmates de l’ancien homme ». Les stigmates : vaste sujet.
Par quel bout le prendre ? Stigmates au sens sociopsychologique décrivant
un drame vécu ou stigmates au sens de cicatrices corporelles
? La sujet est prit la plupart du temps dans un sens néologiste
de transgression qui semble être le véritable sujet du
discours ambiant. Bref, des personnages, non des personnes. Ces films
postulent la thèse inverse.
Osama
Réalisation
: Sedigh Barmak
Acteurs,
actrices : Marina Golbahari, Khawaja Nader, Arif Herati, Zubaida Sahar,
Hamida Refar, Gol Rahman Ghorbandi
L'Afghanistan des Talibans, il y a quelques années.
Première scène. Kaboul. Un défilé de femmes
engoncées dans leur burqa bleue réclamant du travail et
à manger et cherchant à se protéger en hurlant
qu'elles ne sont pas un défilé politique. Arrivée
des Talibans. Massacre.
Dans une masure, une mère travestit sa fille en garçon
afin qu'elle travaille et ramène à manger. A la mort du
père et du fils, il n'y a plus homme dans la famille. Or les
Talibans ont instauré un véritable couvre-feu sociopolitique
où nulle femme ne peut travailler ni même sortir sans un
homme. Présentée au seul ami de son défunt père,
devenue garçon, elle commence une vie de labeur. Un jour, un
Taliban passe par là et l'emmène avec des dizaines de
garçons emmenés dans un madrasa pour recevoir un enseignement
conanique sous la direction d'un mollah vieillissant.
Une scène donne toute la mesure de cet enseignement : les ablutions
où l'homme doit laver trois fois chaque partie de son anatomie
sexuelle.
Très vite, le mollah repère ce garçon "efféminé",
éphèbe d'un passé lointain de l'Afghanistan. Nommé
Osama par son seul copain dans la madrasa, il est la risée de
ces garçons joueurs et chamailleurs.
Découvert bientôt par la mollah lui-même, elle est
emportée en prison, revêtue d'une burqa et condamné
par le tribunal coranique. Le mollah obtient de l'adopter et l'emporte
dans sa maison où sont enfermées femmes et enfants. Le
soir même, le viol sera perpétré.
En
apparence, un film tranquille. Pas de montage vif précipitant
un état de terreur permanent et une violence guettant chaque
geste, chaque regard. L'auteur montre dans son dénuement même
un système totalitaire conduit sur un seul principe : la possession
des femmes et des enfants et gare aux hommes qui ne suivent pas ce principe
érigé en dogme absolu.
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Maud-Yeuse
Thomas
Veille
Internet
Transsexuel-lE
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