La
transparentalité
Le
cadre
En préalable, je dirai qu’il est manifestement le sujet
orphelin du débat sur les transidentités et les intersexualités.
Or ce sujet condense les limites que pose la conception binaire et oppositionnelle
de l’identité et plus largement des rapports sociaux de
sexe et de genre. Tant que la conception binaire régulait la
conception du transsexualisme, l’on reste sur une transition à
sens unique, véritable parenthèse exceptionnelle. Dès
que l’on quitte le mode binaire pour un mode multiple, le transsexualisme
(au sens de changer de sexe) devient une figure parmi d’autres
de changements de genre et, avec cette nouvelle acception purgée
des disqualifications et impossibilités discursives, la transparentalité
apparaît. J’ai repéré plusieurs points de
ce débat de réflexion et pistes de recherche :
1) dans le traitement général qui prévaut en
matière de « population globale » duquelle se distinguerait
des « minorités », a fortiori des « minorités
sexuelles », catégorie morale fourre-tout tenant lieu
de politique des identités à l’instar de la politique
de l’immigration ; qu’est ce qui justifie cette distinction
de minorité ?
2) dans le discours quotidien comme psychanalytique qui en est fait
et notamment les tenants du protocole psychiatrique ; on a longtemps
trié les uns des autres en posant que les gens mariés
et avec enfants ne pouvait pas être trans : le sujet de la parentalité
a disparu sous cette oppression travestie en intégration.
3) la transparentalité invalide le thème de la désocialisation,
de l’errance et de la marginalité (thème qui avait
permis de valider la pathologisation) ;
4) l’accès aux PMA aux personnes trans ;
5) ce sujet oblige à repenser la sexualité « trans
» indépendamment du clivage homo et hétérosexualité
ainsi que la coliaison cisgenre : ce sujet déconstruit la causalité
binaire entre identité sexuelle et identité de genre
;
6) réexamine les relations entre transidentités et le
lien social qui reste fondé sur un mode binaire ;
7) l’éducation des enfants ;
8) la question de l’assignation fixe à la naissance comme
règle intangible.
Ce sujet vient donc remettre en question tous les points considérés
comme des piliers de la vie humaine et la question de la définition
de l’humanité. Faire douter de ce point comme je l’ai
maintes fois constaté nous rappelle comment l’on teste
ce type d’idées afin de les valider politiquement le cas
échéant. Ce sujet permet de souligner trois points en
particulier contribuant à cette impossibilité discursive
:
1) les tenants de la vision psychiatrisante selon lesquels une personne
mariée ayant procréée ne répond pas aux
critères du transsexualisme « vrai » ou «
secondaire » ;
2) la thèse sociopolitique selon laquelle le transsexualisme
vient menacer l’instance de la famille et l’éducation
des enfants ; une éducqtion selon un modèle multiple
à X genres sociaux est possible ; chose que nous savions déjà
avec les enfants intersexes quant ceux-ci échappent à
la mutilation sexuelle et développent une identité intergenre
;
3) le point principal reste la thèse naturaliste selon laquelle
l’identité se forme à partir du corps-sexe biologique.
Sur la famille, notion politique s’il en est, le seul fait de
parler de transsexualisme comme d’homosexualité, l’invaliderait.
On voit là la fonction sociale de triage plus politique que psychiatrique.
Cela se construit de plusieurs manières.
Au cours du trajet :
1) dans le tri entre personnes non mariées et mariées
; face à cette contrainte, les personnes trans ont écarté
elles-mêmes la réalité même de la famille
;
2) dans le tri entre personnes ayant procréé ou non
;
3) Nombre quittent leur conjoint et enfants pour effectuer leur trajet.
En fin de trajet :
1) l’obligation légale de divorcer pour pouvoir changer
de papiers d’identité au Tribunal de Grande Instance.
Dans le cas inverse, nous aurions des couples homosexuels mariés.
Après le trajet :
1) la difficulté, voire l’impossibilité d’adoption
2) le rappel du passé lors de simples opérations administratives.
Par exemple, le renouvellement de la carte d’identité.
Nous sommes obligées régulièrement de faire retour
sur notre passé et de le dévoiler dans le même temps
qu’on exige de nous d’être discret-es sur ce passé
; de se comporter comme des femmes ou des hommes tout en nous désignant
sous ce vocable considéré comme humiliant et psychiatrisant.
La génération précédente, ayant intériorisé
le moule binaire dans ses contraintes d’assimilation que reprend
intégralement les critères du protocole psychiatrique,
a fait en sorte de minimiser ou de faire disparaître l’impact
d’un mariage et la présence d’enfants, acceptant
une vie marginalisée par défaut du moment que celle-ci
fut temporaire, uniquement soumis à la transition vécue
comme une parenthèse vite refermée. Du moins selon un
souhait lié à la triple contrainte d’intégration,
de conformité et de normalité sous le sceau d’une
« vie en commun ». Cette génération a sacrifié
-entre autres- ses désirs d’enfants. Or, la famille est
le symbole le plus fort et à juste titre de cette vie en commun
sacrifiée autant pour ne pas y entrer et effectuer en solitaire
un difficile trajet que, à l’inverse, y entrer et s’y
trouver enfermer.
En bref, changer de sexe ou fonder une famille, prendre le risque de
la marginalité ou s’assimiler dans le modèle social
familial.
La transparentalité montre que l’on peut fonder une famille
et vivre une transition. Notre ambition était donc de replacer,
via le sujet de la transparentalité, le sujet des transidentités
et montrer en quoi, tout en maintenant les instances constituant la
vie en commun -comme la famille, le lien social, l’éducation
et la transmission d’identité- celles-ci sont profondément
interrogées et le cas échéant, renouvelées.
La question de la définition dans le transsexualisme
J’ai voulu revenir sur la question de la définition «
standard » sensé expliquer l’ét at normal
des états pathologiques. La définition du transsexualisme
se résume à un « sexe opposé à /en
contradiction avec le genre ».
Définition sur laquelle est construit l’ensemble de l’étayage
essentialiste, voire naturaliste, et avec elle la conception ordinaire
de l’identité. Au fond, l’identité, c’est
cette liaison sexe et genre, cette coïncidence sexe-genre opposée
à une rupture sexe-genre. De manière plus précise,
la psychiatrisation s’est étayée sur cette définition
qualifiée d’universelle et objective, la formulation psychiatrique
étant», la « rupture entre le sexe et le genre »
pour justifier le concept de « trouble psychique ».
Deux remarques d’importance :
1/ on a une définition ordinaire et universelle et une définition
de l’exception trans. Une coïncidence sexe-genre, qualifiée
de naturelle, et une rupture sexe-genre, qualifiée de pathologique
;
2/ on présuppose un lien insécable entre le sexe et
le genre tout en professant que l’on ne naît pas mais
que l’on devient, il est évident que l’on a beaucoup
de mal avec cette voie philosophique qui va à l’encontre,
est contre-intuitif, de la naturalisation-essentialisation de l’identité.
Le premier tenant de l’hypothèse naturaliste est l’assignation
du genre au sexe. Constatant le sexe (mâle ou femmelle), nous
donnons par tradition un genre à l’enfant (garçon
ou fille). Cette tradition est l’assignation du genre au sexe.
L’anthropologie nous a montré que cette assignation peut
être distincte selon les cultures, mais l’Occident binaire
continue d’assigner selon cette tradition, ce modèle d’identité
que nous appelons un mode cisgenre (homme masculin, femme féminine)
et d’en affirmer l’universalité discursive. Dans
cette opération d’assignation, nous posons une linéarité
sociopsychique entre l’assignation et le devenir : Les garçons
deviennent des hommes et les filles des femmes. L’exception transsexe
en tant que rupture sexe-genre saute aux yeux. L’exception transgenre
est beaucoup plus difficile à systématiser. Les enfants
intersexes sont une autre exception. Une exception à double titre
: ce n’est pas une assignation de genre au sexe (ou le sexe est
l’invariant) mais une assignation de sexe au genre où c’est
l’identité de genre qui est l’invariant. L’antécédence
du sexe dans la tradition binaire-cisgenre est remplacée par
une antécédence du genre qui vient justifier la réassignation
sexuelle.
L’idée d’une pathologie repose au mieux sur la croyance
ordinaire d’un noyau objectif, originaire que vient constater
l’assignation de genre au sexe. Or l’assignation ne constate
pas une naissance, elle créé une identité de genre
(fille ou garçon) auquelle elle ajoute un genre (masculin ou
féminin). Elle greffe un genre à une sexuation si bien
que nous postulons une unité insécable qui n’existe
pas si nous ne la créons pas lors de ce rituel d’assignation.
Je parle de genre social pour parler de l’identité-homme
et femme, et j’ajoute de l’identité-intergenre, trans,
androgyne, lesbienne, butch, autres… et non de sexe social se
référant à l’hypothèse naturaliste.
Ce faisant, je donne à l’assignation à la naissance
sa portée rituelle de venue, d’accueil et de nomination
au monde : c’est un garçon, une fille, unE intersexe et
cet enfant pourra se construire comme garçon au lieu de fille,
fille au lieu de garçon, intergenre au lieu de fille ou garçon,
androgyne au lieu de… bref, je sors de l’assignation fixée
et linéaire une fois pour toutes. C’est la diversité
reconnue des identités contre la thèse de la différence
sociohistorique des sexes.
Les arguments de contre-nature comme celui de rupture entre le sexe
et le genre compris comme fait objectif, autonome des individus, tombent
d’eux-mêmes. Il n’y a de rupture sexe-genre que parce
que nous conceptualisons culturellement un noyau sexe-genre : précisément
cette essence qui, partant de la sexuation et l’assignation, constitue
le futur individu de l’extérieur. L’Occident rationaliste
n’a que faire de la subjectivité dans la construction de
l’identité tout en parlant d’épanouissement,
d’introspection, de découverte de soi. Il présuppose
(ou espère) le développement d’une subjectivité
naturalisée dans un cadre culturel d’assignation. On comprend
que la coliaison entre le fait sociocuturel de l’assignation-éducation
et le fait subjectif du développement soit si étroit,
coexistant mutuellement. Ce fait majeur implique en outre une linéarité
sociopsychique entre fille-femme ou garçon-homme. Or, ceci est
un schéma socioculturel global impliquant très fortement
la reproduction sociale.
L’hypothèse naturelle est, en fait, un mode et une tradition
d’assignation. La nature n’y est strictement pour rien.
Nous ne sommes pas des mâles ou des femelles mais des garçons,
des filles avec un devenir linéaire ou non linéaire. Seul
le devenir linéaire semble aujourd’hui encore acceptable.
Or de quoi parlons-nous ? D’identité. J’ai défini
l’assignation à un genre comme un rituel de venue au monde,
d’entrée dans l’humanité : à chaque
naissance, nous ajoutons un garçon ou une fille à l’humanité,
non un corps mâle, femelle ou intersexué. Nous en avons
fait une imposition à valeur objective et scientifique en sus
d’une valeur sociohistorique, alors qu’il s’agit d’un
rituel socioculturel. La binarité homme/femme, masculin/féminin
est un fait historique, totalement construit, et non un invariant universel
et objectif, intangible et autonome de la culture humaine.
Je maintiens donc l’assignation au sens rituel de venue au monde
et je lui laisse sa portée transformatrice de devenirs futurs
afin que chaque individuation trouve son unicité propre, son
unité subjective et sociale. S’il y a une essence de l’individu,
elle est dans la construction transformatrice du vécu. L’identité
fixe donnée à la naissance est une bonne idée mais
philosophiquement un concept erroné.
Dans ce débat, on peut se poser au moins deux questions relatives
à la transidentité :
- où sont les identités trans, inter et androgyne dans
notre société ; quelles places pour ces identités,
sous quelles formes et expressions, quels genres, quelles identités
de genre, quels comportements sociaux ces personnes adoptent-elles
face à la logique d’intégration de la binarité
dominante ? quelles filiations narratives en sachant l'absence de
place dans la société ?
- la résolution actuelle du transsexualisme par les traitements
médico-chirurgicaux et la régulation juridique (changement
de sexe social et de papiers d'identité) aurait-elle toujours
lieu dans une socialité ouverte de X genres sociaux où
les changements de genre et de sexe sont des options collectives culturellement
acceptés ?
Nous pouvons aujourd’hui commencer à répondre à
ces questions en observant l’actuelle révolution transidentitaire
qui s’ancre dans la révolution philosophique de de Beauvoir,
le féminisme sociopolitique et le mouvement homosexuel. La parentalité
trans, intersexe, homosexuelle, et la débinarisation des identités
sont ces réponses culturelles.
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