Stigma-queer
Nice
13/06/07
Intervention
Tom Reucher
La
psychiatrisation comme stigmatisation des personnes Trans'
Petit
lexique
Nous parlons de “transidentité” car c'est une identité,
non une sexualité. Transidentité au sens des identités
trans', qu'elles soient transsexes ou transgenres. De même, nous
avons remplacé “transsexuel” par “transsexe”
car ce n'est pas une sexualité et que le terme “transsexuel”
est impropre parce qu'il est construit sur le modèle “homosexuel”
et “hétérosexuel”. Le terme “transsexe”
est construit sur le modèle “transgenre”. Nous disons
les “personnes trans'” (avec une apostrophe) quand nous
parlons des “personnes transsexes et transgenres”. Comme
vous le savez, les trans' peuvent être hétérosexuels,
homosexuels, bisexuels, asexuels... Nous n'utilisons plus “transsexualité”
et si possible “transsexualisme”, les deux étant
remplacés par “transidentité”.
La
psychiatrisation dans les faits
La transidentité est encore classée parmi les maladies
mentales (comme un «Trouble de l'identite sexuelle») que
ce soit dans la classification étasunienne le Manuel Diagnostique
et Statistique des Maladies mentales (DSM)[1] qui est mondialement utilisée
ou celle, internationale, de l'Organisation Mondiale de la Santé
la Classification Internationale des Maladies[2]. Elle y est depuis
1984 pour le DSM et depuis 1993 pour la CIM.
Notons que c'est en 1973 que l'American Psychiatric Association (APA)
a voté l'élimination de l'homosexualité du DSM
sous la forte pression des associations gays et lesbiennes, une partie
des membres de l'APA étant elle-même concernée.
Quand les homosexuelLEs en sortaient, les trans' y entraient.
Il y a aussi le projet d'y faire entrer les intersexes sous le terme
de «Désordre du Développement Sexuel (DDS)»
ou «Disorder of Sexual Developpment (DSD)». Veillons donc,
avec eux, à ce que cela ne se fasse pas.
Mais la transidentité n'a pas toujours été psychiatrisée[3].
Avant les années 60, les personnes trans' se procuraient leurs
hormones à la pharmacie ou elles étaient en vente libre.
Elles ne consultaient pas de psychiatre. La transidentité n'était
pas reconnue par la sécurité sociale et les trans' finançaient
toute leur transition. Les personnes qui en avaient les moyens pouvaient
se faire opérer quand c'était possible. On faisait la
queue chez George Burou qui exerçait à Casablanca au Maroc.
La transidentité était mal perçue par la société,
elle était considérée comme déviante, elle
l'est toujours. Les personnes trans' pour la plupart perdaient leur
emploi. Quelques-unes unes travaillaient comme artiste dans des cabarets,
mais la très grande majorité des autres se prostituaient.
Même si le RMI a permis à de nombreuses personnes de ne
pas faire cette activité alors qu'elles ne le désiraient
pas, il y encore des personnes qui doivent y avoir recours alors que
ce n'est pas leur choix afin de payer un loyer devenu trop cher ou des
factures de gaz et d'électricité incompressibles.
Puis les psychiatres se sont emparés de la transidentité,
ils se sont auto proclamés compétents. Ils ont décidé
que c'était une maladie mentale et ils ont obtenu la prise en
charge par la sécurité sociale en échange du contrôle
des transitions. Ils décident des critères, de ce que
doit être un homme, une femme, de qui fera une transition. L'obligation
de passer par l'un d'entre eux pour obtenir des hormones a permis à
certaines personnes de faire leur transition alors qu'elles n'auraient
pas pu la financer mais un grand nombre qui avait auparavant accès
aux hormones n'a plus pu s'en procurer. Les psychiatres ont mis en place
des équipes médicales officiant en hôpital public
qu'ils ont prétendues “officielles”. Ces équipes
médicales hospitalières ont créé des protocoles
qu'elles ont tenté d'imposer à touTEs. Elles se sont placés
dans diverses instances décisionnaires de la sécurité
sociale et du Conseil de l'ordre des médecins et ont imposé
leur vision rigide de la prise en charge des personnes trans'[4]. Elles
utilisent la sécurité sociale et le Conseil de l'ordre
des médecins pour faire pression sur les rares médecins
qui ne sont pas d'accord avec leur vision et qui acceptent de suivre
des personnes trans' d'une façon plus souple. Certains de ces
médecins ont arrêté sous la pression. Ces équipes
médicales hospitalières donnaient les autorisations de
traitement au compte goutte aux personnes trans'. Il fallait consulter
pendant plusieurs années avant d'obtenir les hormones et encore
quelques autres années pour la chirurgie. L'état civil
était rarement modifié surtout entre 1960 et 1992. Un
trafic d'hormones s'est mis en place. Les personnes qui en avaient les
moyens ont continué à faire leur transition et à
se faire opérer hors de France. Dans les années 90, des
associations se sont crées et la résistance a commencé
à s'organiser. La qualité de la chirurgie en France s'est
dégradée suite au départ à la retraite des
premiers chirurgiens des équipes médicales hospitalières,
leurs successeurs étant moins intéressés. Le personnel
soignant mal informé était et est encore souvent dérangé
par les soins sur les parties génitales modifiées. En
1992, la Cour Européenne des Droits de l'Humain (Homme) a condamné
la France, ce qui a obligé la Cour de cassation à modifier
sa jurisprudence. Des médecins compatissants ont résisté
aux pressions et aidé des trans' et des alternatives aux équipes
médicales hospitalières se sont progressivement mises
en place. Des jugements ont été gagnés par des
trans' contre la sécurité sociale qui ne voulaient pas
les prendre en charge en leur opposant une circulaire illégale,
d'autres ont obtenu des prises en charge de leur chirurgie hors de France.
Les informations circulent sur internet et dans les associations. Mais
rien n'est gagné, la contre attaque est en route. La HAS (Haute
Autorité en Santé) planche sur une prise en charge qui
prendra la forme d'un protocole de soins. Certains membres des équipes
médicales hospitalières font un fort lobying et se sont
fait nommé dans des services décisionnaires. On leur doit
la réforme de l'ALD en 2005 dans laquelle la transidentité
est psychiatrisée.
En 2004, lors de la révision de la liste des affections comportant
un traitement prolongé[5], parmi lesquelles les «affections
psychiatriques de longue durée», la France a décidé
de reprendre les définitions de la CIM-10 de l'OMS (Organisation
Mondiale de la Santé) mais sans les reproduire litéralement.
Finalement, elle a fait sa propre rédaction en remplaçant
«Troubles de l'identité sexuelle» par «Troubles
précoce de l'identité de genre»[6]. Au passage,
elle a rajouté «précoce» avec l'intention
d'exclure les personnes qui n'ont pas montré une identité
de genre non conforme à l'assignation dès l'enfance.La
transidentité n'est pas une maladie mentale. Plutôt que
de «dysphorie de genre» ou «trouble de l'identité
de genre», ou pire, «trouble de l'identité sexuelle»,
il est plus approprié de parler «d'identité de genre
non conforme au sexe biologique»: le sexe biologique de la personne
concernée ne correspond pas au genre auquel elle s'identifie.
La transidentité n'est pas une pathologie au sens propre mais
elle nécessite des soins médicaux, tout comme la grossesse,
l'IVG, la PMA, l'obésité. Ce n'est pas une dysphorie de
genre, c'est le fait que l'identité de genre ne soit pas en concordance
avec le sexe anatomique qui fait qu'il y a souffrance. C'est aussi le
fait que cela ne soit pas facilement accepté dans notre société
qui est trop binaire: deux sexes, deux genres, deux attirances amoureuses
et sexuelles...; société hétérocentrée,
hétéronormative, patriarcale, sexiste, puis homophobe,
lesbophobe, biphobe, transphobe, intersexephobe ou intersexiste. La
majorité hétéro s'est attribuée le statut
de “norme” alors qu'elle n'est que majorité. Les
minorités ne sont pas anormales, elles sont juste minoritaires.
Toute l'éducation repose sur les stéréotypes de
la majorité qu'elle intégre comme étant des “normes”,
d'où une forte contrainte à la “normalité”!
C'est pourquoi les minorités vivent mal d'être dans la
minorité et d'être considérées comme “anormales”.
Le rejet par la société d'une personne parce qu'elle n'est
pas dans la “norme”, donne la honte de soi. En quoi les
minorités sont-elles une menace pour la majorité?
Quelle que soit l'origine de la transidentité, on ne choisi pas
d'être trans', pas plus que d'être homosexuel ou gaucher.
On a tendance à oublier que ce sont d'abord des enfants qui ont
ce problème identitaire. A force d'être rejeté et
discriminés parce qu'ils sont différents, les trans' ont
souvent une mauvaise image d'eux-mêmes. Ils ont intégré
le fait d'être une mauvaise personne dès l'enfance. C'est
la transphobie intériorisé.Dépsychiatrisation de
la transidentité
Depuis qu'elle existe, la psychiatrie a été utilisée
par les états pour définir ce qui est “normal”
ou pathologique, ce qui acceptable ou inacceptable. On a donc pathologisé
ce qui ne convient pas à la morale, à la majorité,
ce qu'on ne comprend pas et qui dérange, afin maintenir un certain
ordre. L'homosexualité, l'autisme, la transidentité, certaines
formes de pratiques sexuelles qui n'aboutissent pas à la procréation,
la maladie de Gilles de la Tourette, etc.
Les malades mentaux ont mauvaise réputation et sont marginalisés
par la psychiatrisation. Pourtant ils n'ont pas choisi d'être
malade, ils n'ont pas d'emprise sur leur pathologie. Reproche t-on à
quelqu'un d'être cardiaque ou diabétique! Pourquoi en vouloir
aux malades mentaux? Parce qu'ils sont trop différents, trop
étranges! C'est aussi une forme de racisme. Quant aux personnes
qui se développent d'une façon “marginale”,
c'est à dire d'une façon non conforme à une majorité,
c'est la société qui les “fabrique”, elle
se doit donc de ne pas les exclure, de ne pas les juger.
Sortir la transidentité de la liste des maladies mentales est
fondamentale pour l'évolution des droits des personnes trans'.
Où en seraient les droits des lesbiennes et gays si l'homosexualité
était toujours psychiatrisée? Pour les mêmes raisons,
ne pas y faire entrer les intersexuations est tout aussi fondamental
pour les personnes intersexes.
Déclassifier la transidentité de la liste des maladies
mentales ne veut pas dire démédicaliser. Les trans' ont
besoin de soins (hormones, épilation définitive, chirurgie...),
d'accompagnement psychologique, ça ne veut pas dire qu'ils ont
une maladie mentale. Un travail psychologique sur la déconstruction
des “normes”, de la honte de soi, du sentiment d'être
une mauvaise personne, de ne pas digne d'être aimé... est
souvent utile. Aucune psychothérapie n'a guérie une identité
de genre non conforme au sexe biologique, mais depuis plus de 50 ans,
les hormones et la chirurgie (pour les trans' qui le souhaitent) améliorent
considérablement leur vie. Pourquoi leurs refuser ce qui les
aide le plus? Pourquoi vouloir contrôler leurs corps et leurs
identités?
Par ailleurs, pour que la transphobie soit reconnue comme une discrimination,
il faut commencer par abolir son plus grand obstacle: la psychiatrisation
des trans'. On ne discrimine pas des malades mentaux. Tant que la transidentité
sera un «trouble psychiatrique de longue durée»,
les trans' seront des personnes sans droit que l'on pourra discriminer
en toute impunité. N'oublions pas qu'il y a des trans' qui se
font agresséEs, assassinéEs parce qu'ils sont trans'.
Quand on se rappelle comment étaient traités les enfants
gauchers ou les enfants adultérins dans les années 50,
par manque de connaissance ou pour des raisons morales et comment on
considère ces mêmes personnes dans les années 2000,
on peut mesurer l'évolution de la société, de ses
mœurs et de ses connaissances. C'est la même histoire qui
se répète avec les trans' et les intersexes dont j'ai
peu parlé aujourd'hui. Beaucoup de chemin reste à faire
pour que les trans' soient considérés aussi bien que les
gauchers aujourd'hui.
Aucune majorité n'a raison parce qu'elle est majoritaire. Elle
ne doit pas être une “norme” parce qu'elle est majoritaire.
Le degré de civilisation d'une société se mesure
à sa capacité à intégrer les populations
situées aux marges d'une courbe de gausse (en cloche) par rapport
à la majorité. Ce sont ces populations qui font évoluer
les “normes” d'une société. En conséquence,
nous avons tout intérêt à connaître et respecter
les populations et cultures marginales, c'est à dire minoritaires.
Je pense à une société libertaire, une société
qui permette à chacunE d'y avoir une place, une société
sans domination ni discrimination
Tom
REUCHER, psychologue clinicien
Transidentité: http://syndromedebenjamin.free.fr
Notes
[1] Manuel Diagnostique et Statistique des Maladies mentales = Diagnostic
and Statistical manual of Mental disorders de l'American Psychiatric
Association.
[2] CIM: Classification Internationale des Maladies = ICD: International
Classification of Disorders, le manuel de l'Organisation Mondiale de
la Santé.
[3] FOERSTER Maxime, (2006), Histoire des transsexuels en France, (essai),
Béziers: H&O éditions, 186 p. Préface de Henri
Caillavet.
[4] CORDIER Bernard, CHILAND Colette, GALLARDA Thierry, (2001), Le transsexualisme,
proposition d'un protocole malgré quelques divergences, in Ann.
Méd. Psycol., n° 159, pp. 190-195.
[5] Article D322-1 du code de la sécurité sociale.
[6] Décret 2004-1049 du 4 octobre 2004 qui définit la
liste des affections de longue durée dans une annexe.
Bibliographie
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, (1994)
«Troubles de l'identité sexuelle»
Mini DSM IV, Critères diagnostic, (Washington DC, 1994),
trad. fr.: Paris, Milan, Barcelone, Masson, 1996, p.250-252.
CORDIER B, CHILAND C, GALLARDA T
«Le transsexualisme, proposition d'un protocole malgré
quelques divergences»
Ann. Méd. Psycol., 2001, n°159, p.190-195.
FOERSTER M
«Histoire des transsexuels en France»
(essai), Béziers: H&O éditions, 2006, 186 p. Préface
de Henri Caillavet.
ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE
«F64.x Troubles de l'identité sexuelle»
CIM-10/ICD-10, Chapitre V: Troubles mentaux et du comportement.
- Critères diagnostic pour la recherche, Genève, Paris,
Masson, 1993, p.192-199.
- Descriptions clinique et directives pour le diagnostic, Genève,
Paris, Masson, 1993, p. 123.
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