Intervention - Bruxelles

 

Festival Tous les genres sont dans la culture ( novembre 2009 )

Le "3 sexe social" dans la société Inuit et comparaisons
(Lecture sur un article de Bernard Saladin d’Anglure)


Tout le monde a entendu parler des Inuits, amérindiens et des sociétés que j’ai appelé ternaires ou multiples. Je vais ouvrir une fenêtre sur ce sujet pour éclairer en quoi nous pensons désormais la binarité et la non binarité et son rapport avec l’universalité confrontée aux « terrains ethnologiques ». Je me suis concentrée sur cet auteur et ce qu’apporte son travail ; j’ai choisi cet article parce qu’il condense son travail et apporte quelques comparaisons ethnologiques ou du moins esquisse ce que peut apporter l’anthropologie contemporaine. Il m’intéressait à deux titres :

- un point de vue anthropologique plus qu’ethnologique sur la notion de « troisième sexe social » distinct du modèle et cadre universaliste occidental ;
- une observation-étude spécifiquement ethnologique sur un système chamanique offrant une perspective philosophique et spirituelle.

Plus largement, il bénéficie d’une sorte d’aura extra-culturelle en ce qu’il devançait les gender et culturals studies pour cette réflexion anthropologique d’un « au-delà » de la binarité biosociale. Il s’est particulièrement concentré sur la société chamanique des Inuits et sa particularité socioculturelle qu’il appelle un « troisième sexe social ». Posons le cadre général par les propos de l’auteur :

Mes recherches sur les Inuit m’ont fait parcourir tout le Nunavik et une grande partie du Nunavut, puis m’ont conduit en Sibérie nord-orientale et en Amazonie péruvienne, pour vérifier l’hypothèse qu’il existait un rapport entre le chevauchement de la frontière des sexes/genres et la médiation chamanique.

L’auteur pose son étude pour un cadre anthropologique large :

Les travaux de Margaret Mead (1935) faisaient alors école, depuis qu’elle avait démontré que cette division des tâches avait un caractère relatif et résultait de choix culturels et sociaux et non pas d’un déterminisme biologique lié à la différence des sexes. Elle établissait par là les fondements d’une définition du genre (…).

Un cadre anthropologique global donc via le cadre théorique et pratique d’une « relativisation culturelle du système sexe-genre » qui, tout de même, attendra les études queers. Non seulement, les études sont rares mais ont renforcé le dogme naturaliste et universaliste du rationalisme à la française où toutes les variations socioculturelles ont été purement et simplement gommées au profit de cette binarité mythique originelle d’Adam&Eve. Cet effet d’universalisation a permis l’effet-d’exception et sur ce socle aux accents racistes et différentialiste, la pathologisation. On a donc un débat sous la forme de terrains ethnologiques et de théories psy qui viennent encadrer la notion d’exception ethnologique auquel se confronte l’auteur et se risque à quelques comparaisons. Voyons par l’exemple les translations conceptuelles qu’il effectue.
Il considère donc d’abord le fait comme une exception culturelle et s’y confronte. Puis pose les concepts qui, forts de ces observations, peuvent expliquer ce qu’il ne peut plus considérer comme une « exception » propre à la société Inuit et, après vérification, aux sociétés chamaniques. Sa première hypothèse concernant la présence culturelle du/d’un "troisième sexe social" est que c’est la distribution du sex ratio qui explique que certains enfants selon éduqués selon un genre (qualifié « d’opposé ») comme par exemple en Polynésie (s’il manque par exemple une fille pour aider la mère au foyer), puis il comprend que cette distribution est équilibrée par un système ritualisé d’adoptions. Voyons comment il caractérise ce qu’il nomme un « troisième sexe social » :

(…) je me demandai pourquoi opérer une socialisation inversée si l’adoption pouvait combler le déséquilibre du sex-ratio ? (…) Ce travestissement et la socialisation inversée qui l’accompagnait le plus souvent marquaient les enfants pour la vie.

Dans ces phrases, l’auteur définit l’identité des enfants, non selon son éducation dans une classe de genre dans les termes de la société Inuit mais selon l’interprétation occidentale, d’où les termes de socialisation inversée et de travestissement. On ne sait pas si dans chez les Inuit, ces notions sont pertinentes et en quoi le seraient-elles si c’est le cas. Ces deux notions ne se comprennent que dans un contexte sociohistorique précis et daté, à partir de l’invention « psy » de l’homosexualité et sa catégorisation pathologique pour valider la thèse de la différence [innée] des sexes, immuable, déterministe confrontée à la thèse de la fabrique des sexes qui est acquise, contextuelle, labile, politique. Voici comme Françoise Héritier (pour mémoire, qui organisait la table ronde à la Villette avec P. Mercader) présente la différence des sexes en tant qu’instance anthropologique :

La différence des sexes structure la pensée humaine puisqu'elle en commande les deux concepts primordiaux : l'identique et le différent. La manière dont chaque culture construit cette différence met en branle toute sa conception du monde, sa sociologie et sa biologie comme sa cosmologie. Changer le rapport du masculin et du féminin, c'est bouleverser nos ressorts intellectuels les plus profonds, élaborés au fil des millénaires.( )

F. Héritier prend acte pour la thèse de la différence des sexes tout en notant une part construite culturellement en situant sa cosmologie anthropoliugiuque dans les civilisations du Livre. Les sociétés chamniques ou animistes entrent-elles dans cette orbe socioculturelle ? Or Saladin d’Anglure découvre que « Selon les Inuit, le sexe du fœtus est instable et sujet à transformation » mais on ne sait pas si c’est valable pour toute la société Inuit ou juste pour ces enfants et en quoi, si c’est le cas, cela ébranle une conception anthropologique généralisée. Il utilise la notion de sexe social en le doublant du genre : «sexe social (genre)». Il suggère là que, dans la société Inuit, la définition générique s’effectue par le genre social dans un système de médiations chamaniques qui a, entre autres rôles, la filiation intergénérationnelle dans le rapport aux ancêtres et une assignation par l'antécédence du genre. Tel enfant reçoit du chaman le nom de tel ancêtre et l’enfant est éduqué dans le genre social vécu de cet ancêtre. L’enfant franchit donc la barrière de la différence des sexes via cette nomination chamanique lorsque le genre social et personnel l'ancêtre est distinct de l’enfant ou plutôt de ce que cet enfant recevrait dans un autre cas. Mais pourquoi parler de "troisième sexe social" dans un sens générique ? Il utilise cette notion en parlant de « travestissement chamanique » présupposant un franchissement majeur tel qu’il brouillerait les catégories génériques de F. Héritier, l’identique et le différent appliqué au masculin et féminin, catégories socioculturelles, grammaticales et symboles de l'Occident. Qu’est-ce que le terme de chamanique apporte au terme de travestissement ? Est-ce que ce terme implique le passage de la frontière des sexes sociaux que ne peuvent pas traverser les autres membres de la société ? Cela ne revient-il pas à un système binaire ? Que vit l’enfant ? A sa majorité, celui-ci peut revenir au sexe social mais, indique l’auteur, il semble « beaucoup souffrir ». De quoi souffre-t-il puisqu’il y a une médiation sociale l’intégrant et le reconnaissant ? Est-ce le fait d’un nouveau franchissement d’une solide barrière des sexes sociaux et dans ce cas, l’opposition binaire régule les identités et la socialisation comme chez nous et n’autorise pas d’exception ou de création proprement « troisième ».
A le lire, j’avais le sentiment que chez les Inuits, cette régulation ne concernait pas l’épanouissement individuel, la connaissance de soi par l’introspection mais une régulation sociale endémique dans un milieu géographique précis et limité. Or l'auteur découvre que ce fait exiset partout dans le monde et fai!t quelques comparaisons. Ce que j’ai pu lire des sociétés amérindiennes semblait mixer les deux dimensions, c’est-à-dire une régulation sociale et comment faire avec des enfants s’identifiant fille et non garçon ou garçon et non fille, c’est-à-dire au « sexe-genre opposé » selon les concepts occidentaux. Est-ce que cela suppose une régulation individuelle ou une inscription sociale du franchissement de la différence soit par le sexe, soit par le genre ou une autre dimension, par exemple l’animal-totem ou une croyance déique ?
Si le système chamanique induit le chevauchement entre sexes et les changements de formes d’un individu, nous ne sommes pas dans la médiation dualiste et rationnelle de l’Occident. Dans son cadre d’études, Saladin d’Anglure relie ces notions à une régulation mythique dans un espace-temps chamanique et fait du travestissement la notion centrale d’un changement de sexe social (sans changement de sexe biologique) en rapport direct avec ce contexte (« Il s’agissait en fait, pour Qingailisaq, d’une élection chamanique par un esprit (la femme-esprit décédée), qui devint son esprit auxiliaire. »). L’enfant poursuit la vie de son ancêtre dans un espace-temps chamanique et non dans un espace sociobiologique déterminée par la sexualité procréatrice où le genre a une fonction d’opposition, voire d’impossibilité d’un quelconque franchissement. Est-ce de cela dont souffre les enfants Inuit qui reviennent à un état d’identité qu’ils et elles ne connaissent pas ? Plus loin dans le texte, l’auteur décrit les premières observations :

« Les divers auteurs (les premiers explorateurs russes à propos des Inuit Yupiit d’Alaska, les Tchouktches et d’autres peuples de Sibérie) avaient tendance à expliquer ce travestissement par l’orientation homosexuelle des chamanes. Cette explication ne me satisfaisait pas du tout, car elle prévalait aussi, de façon abusive, pour les berdaches amérindiens. ».

Cette description décrit comment l’idéologie et la morale de l’Occident ont effacé ces variations concernant non seulement des individus non-binaires mais encore les médiations sociales (de type chamanique ou autre) et leur socialisation. Elle repose sur le pansexualisme théorique de l’Occident et pose un biais méthodologique considérable. L’homosexualité est, dans cette description, le facteur du franchissement de la frontière sociale des sexes-genres dans son sens binaire. La désarticulation conceptuelle que l’auteur décrit comme abusive, entre homosexualité, travestissement, changement de genre social est encore loin d’être terminée -en dehors du queer qui fait du travestissement une notion de passage (et non de franchissement d’une frontière) sans affecter l’état de l’individu et sans lien causal avec la sexualité et son éducations. Saladin d’Anglure fait un détour par deux ouvrages : celui de Marie-Antoinette Czaplicka :

Socialement, le chamane n'appartient ni à la classe des hommes ni à celle des femmes, mais à une troisième classe, celle des chamanes [...] ils ont des tabous particuliers, comportant des traits à la fois masculins et féminins. La même chose peut être dite de leur costume, qui combine des caractéristiques propres aux vêtements des deux sexes.

L’auteure introduit ici de l’épaisseur vécue, note leur psychologie, leurs tabous, ce mixte du genre. Pas besoin ici de travestissement : le terme de chamane est utilisé dans le sens de classe de genre au même titre que femme et homme et décrit un espace sociologique troisième des relations et non d’une quelconque intériorité inconsciente. On est déjà au-delà du travestissement compris comme passage, changement ou franchissement à une conception « queer » tel qu’elle observe des genres sociaux et une socialité plurielle impliquant une labilité et mixité du genre comme concept. Autrement dit, on a là une théorie qui ne plie pas les individus à un modèle-cadre. Soulignant donc ce constat de l’auteur : (…) la vocation chamanique était en rapport avec un travestissement précoce et une socialisation inversée.
On suggère là que le chamanisme est lié à ce franchissement comme si l’on changeait de monde et pouvait en voir deux espaces sociologiques, voire deux mondes. Toutefois, les concepts utilisés, culturellement transcrits, présuppose :

1/ le cadre d’interprétation occidental ;
2/ la société décrite est une société binaire.

On ne comprend plus en quoi y a t-il un sexe social troisième à même de faire une médiation (pour les deux autres sexes sociaux, une relation inter-monde, inter-classe ?). Or l’auteur posait au préalable que le sexe était une variation culturelle non fixée dans le cadre anthropologique d’une « relativisation socioculturelle du système sexe-genre » posé par Margaret Mead. Il pointe l’ouvrage de Nicole-Claude Mathieu qui fonde elle aussi un « 3 sexe social » à propos des « Berdaches » des sociétés amérindiennes :

Contrairement à l’affirmation de Nicole-Claude Mathieu , que nos sociétés ne reconnaissent que deux catégories sociales de sexe, j’étais persuadé qu’elles fabriquaient, elles aussi, comme d’ailleurs sans doute toutes les sociétés du monde, un troisième sexe social assumant le plus souvent des fonctions de médiation.

Dans les sociétés amérindiennes, le fait tient au genre de préférence de l’enfant et à un rituel d’adoption de sa nouvelle appartenance pyschosociologique. Dans ce sens, c’est une exception au système d’identité dans cette société et il est très proche de la nôtre, à l’exception majeure que la société amérindienne a aménagé ce rituel d’adoption. L’appartenance à un groupe de genre est déterminante et s’inscrit parfaitement dans la cosmologie différentielle des sexes. Ce qui l’amène à un chapitre intitulé : Pour dépasser le binarisme : l’androgynie psychologique et le 3e sexe social. Il fait un détour le courant « androgyniste » en Occident initié par Sandra Bem (4), psychologue sociale qui :

(…) distinguait quatre catégories de sexe psychologique : les individus « typés », homme à masculinité élevée et à féminité faible, femme à féminité élevée et à masculinité faible, correspondant au modèle binaire classique de nos sociétés — des individus « typés croisés », homme à masculinité faible et à féminité élevée, femme à féminité faible et à masculinité élevée. Puis une catégorie d’individus, homme ou femme, avec une masculinité faible, en même temps qu’une féminité faible, catégorie plus problématique que les autres — et enfin, les « androgynes », homme ou femme avec une masculinité élevée et une féminité élevée »

Pour s’en distinguer en bon structuraliste : (…) mon approche se différenciait de la sienne, en ce sens que je m’intéressais à la construction sociale et culturelle du sexe social et à la dynamique collective qui la sous-tendait, plutôt qu’à une approche individuelle comme la sienne, ou aussi celle de la psychanalyse. L’auteur présuppose le cadre de Sandra Bem, sans doute du fait qu’elle est psychologue et centre son observation sur la psychologie et le comportement d'individus alors qu’elle propose une déconstruction conceptuelle des médiations sociales binaires (basée sur un modèle-cadre binaire) et interroge le cadre conceptuel du discours sur l’identité sexuelle qui donne à la sexualité adulte un rôle et une place causales dans l’explication des mécanismes structurant le psychisme humain. Une étude rapportée dans SH en 1994 estime de 20 à 30% d’androgynes dans la population. Puisqu’il existe 20 à 30% d’androgynes dans la population, pourquoi notre société est binaire et le reste ? La même question vaut pour les trans et les intersexués.
Il en découle très logiquement, lorsque désirant parler de ces travaux, il titre « Heurts et malheurs du concept de 3 sexe social » face aux siècles d’habitudes de pensée enracinées dans une tradition gréco-romaine, puis judéo-chrétienne. La discussion (que je ne reproduis pas ici en totalité) est passionnante d’anecdotes toutes reliées au statut contextuel de luttes, notamment féministes, aux franchissements des frontières par E. Badinter et leur impact sur les fonctions de médiation.impliquées dans la thèse de la différence radicale ou relative des sexes sociaux. Puis il passe aux auteurs en psychanalyse -C. Chiland, H. Frignet, P-H. Castel - qui soutiennent la nécessaire gouvernance de l’ordre symbolique mis à mal par l’individualisme contemporain et le déconstructionnisme queer. Il décrit une rencontre avec des chercheurs en anthropologie sociale aux USA :

Je fus très surpris d’entendre les participants se présenter en mentionnant leur orientation sexuelle, en plus de leur fonction et de leurs travaux. Il y avait une très forte majorité d’anthropologues gais et lesbiennes (…). Quand vint mon tour, je me nommai en me définissant comme ni gai ni lesbienne, mais sans doute comme 3e sexe social (genre).

Ces auteurs situent d’où vient la parole, ce qu’elle produit pour situer leur discipline et son impact car elle produit manifestement beaucoup. L’auteur est ici -et seulement ici- dans la redéfinition (et l’autodéfinition personnelle) proche du queer. Il décrit le projet de ce groupe :

de refonder l’anthropologie sociale sur des bases nouvelles (…). S’inspirant de Foucault et du postmodernisme, ce groupe s’inscrivait dans un courant à l’origine de remises en question plus radicales, comme celle de la philosophe américaine Judith Butler (1990) et de la théorie queer qui va plus loin dans la déconstruction des catégories de sexe et de genre et la critique de l’hégémonie hétérosexuelle.

L’auteur en oublie l’hégémonie intellectuelle de l’Occident et zappe la dimension postcolonialiste de cet interventionnisme intellectuel. Le dernier chapitre est titré Transsexués, transgenres et « transphobes » et narre le zap de Patricia Mercader (9) par le GAT à la Cité des sciences (chapitre court sans commentaire particulier) puis passe à La difficile question des droits des « intersexués » et fait un commentaire à leur propos (commentaire qu’il ne fait pas à propos des transsexués et transgenres -termes sans définitions préalables-, notamment sur le cadre de pensée ) :

En consultant le site, j’appris qu’il y avait plusieurs millions d’intersexué(e)s dans le monde, qu’ils se sentaient discriminés injustement et victimes de mutilations sexuelles pratiquées à leur naissance. (.. .) Ils se sentent plus à l’aise avec la théorie queer, qui les dégage de leur handicap. Je maintiens quant à moi que le concept de 3e sexe a une valeur heuristique en ce qu’il permet de sortir du dualisme des sexes/genres et permet de situer quiconque ne se reconnaît pas dans les deux sexes classiques.

Par exemple, chaman. Ou intergenre, trans, transvariant… L’auteur ne se reconnaît pas dans les deux sexes classiques, au sens binaire donc, mais en sauvegardant le cadre d’interprétation occidental. Il glisse sans cesse d’un statut autoattribué de chaman au cadre difficile de la scientificité. On ne sait pas si le terme sexe s'entend au sens anthropologique (sexe social), psychologique (sexe vécu), psychosociologique (sexe d'assignation) ou encore au sens de l'endocrinologie puisqu'il est question des intersexuations. Exemple avec la chapitre suivant : Crise démographique, crise du sex-ratio et perte des repères collectifs.

À l’heure de la mondialisation et dans de tels contextes, est-il vraiment pertinent d’adhérer aux idées postmodernes concernant le genre, la sexualité et le désir, et à la théorie queer qui fait une place, certes, aux délaissés de l’idéologie dominante régulant l’identité sexuelle, mais qui, en remettant en cause l’hétérosexualité, risque de jeter le bébé avec l’eau du bain ? Car tous ces délaissés et marginaux du système dominant n’auraient jamais vu le jour s’il n’y avait pas eu, avant eux, des couples composés d’hommes et de femmes pour les procréer.

Et on en revient au tri qu’une société peut s’arroger au nom de critères… Il en oublie le rôle qu’il s’auto-attribue, un chaman, qu’une ethnologue, Anne-Marie Losconczy, place au préalable en éthique de recherche en effaçant son point de vue d’occidentale. Le cadre de relecture anthropologique queer doit-il remiser ses ambitions intellectuelles à l’heure dérégulée de la mondialisation occidentale et pour des délaissés et marginaux ? Drôle de glissement… La lecture critique de l’hégémonie hétérosexuelle devient une remarque d’ordre général qui prétend recontextualiser un cadre d’ordre philosophique. Traduction : la planète est surpeuplée et asphyxiée, les rapports homme-femme vont mal… au profit d’une controverse intellectuelle de la théorie queer. Que ce système siphonne les différences en affirmant des déviances, on en a cure brusquement ici. Pour comparer, C. Chiland parle de transgression du fondement de civilisation, P. Mercader et S. Agacinski rejette toute idée d’un « 3 sexe social », P-H. Castel parle de sociétés exotiques, rejette en vrac l’anthropologie comparative et donc les travaux de cet auteur pour justifier le maintien d’une pathologisation mentale et le cadre de cette idéologie dominante régulant l’identité sexuelle. C. Chiland résume que, contrairement aux transsexuels occidentaux, les Inuits, Berdaches et Hijras bénéficient d’un cadre socioculturel les valorisant.
Drôle de comparaison face à l’assassinat pur et simple de la civilisation amérindienne ; faux pour les Hijras (E. Novello), et largement partiel pour les Inuit. Les transidentitaires, s’ils ne se définissent pas tous et toutes par la théorie queer, se retrouvent dans ce cadre idéopolitique de pathologisés (et pas simplement de délaissés) de l’idéologie dominante régulant l’identité sexuelle. Cela même que conteste le queer et accessoirement l’auteur : ce n’est pas une théorie mais une idéologie. L’abus de l’intérêt collectif justifiant la pathologisation est oublié dans ce passage hautement abstrait et généraliste. Ce qui permet de conclure :

Il y a cent ans Marcel Mauss, dans un essai visionnaire sur les sociétés inuit, avait déjà mis de l’avant l’équilibre trouvé par cette société entre individualisme et communisme, tant dans le domaine de l’économique que dans celui de la sexualité.

Médiations entre intérêt collectif et épanouissement individuel pour un système anthropo-philosophique et c’est ce qui intéresse l’auteur et va chercher dans la société Inuit parée de tous les enchantements comparée à un Occident désenchanté. Non seulement, nous interprétons les autres sociétés avec les concepts psys et nos cadres sociohistoriques et moraux mais encore, nous les biffons d’un seul trait avec la notion, centrale en Occident, de validation anthropologique qui réifie l’universalisme. Le biais méthodologique est tel que la régulation chamanique dans les sociétés non occidentales et non patriarcales transite désormais par la gestion psychiatrique et médico-chirurgicale de l’Occident.
Des « fonctions [sociales] de médiation » d’un hypothétique troisième sexe social en Occident et ses fonctions médiatrices et régulatrices dont parle un instant Saladin d’Anglure, nous n’en serons rien [en pasant, ce sont les associations et collectifs, artistes et intellectuel-les, qui génèrent, diffusent ces focntions de médiations sociales et personnelles]. Il ne dit rien dans cet article sur les enfants « trans » qui motive son apport intellectuel sur ce sujet de société, la fabrique culturelle des sexes sociaux et de la différenciation.
Exemple type de la société thaïe où le franchissement est une médiation sociale. En fonction du vêtement, le nom et le statut d’une personne change. Il passe de garçon à fille et inversement sans autre changement. Ce n’est pas du travestissement mais une médiation symbolisée par l’habillement sans statut de subversion ou transgression. Par contre, on ne peut pas parler de médiations inter-monde ou inter-classe (de genre) car ce n’est pas une société chamanique. Que constatons-nous sur ces sociétés occidentalisées ? La régulation de ces personnes, préalablement individualisées et particularisées, passe par le changement de sexe au sens médicochirurgical et juridique. En clair, au-delà de la satisfaction individuelle, le changement chirurgical est géré désormais comme une régulation sociale à même de maintenir le dogme sur la différence des sexes et de limiter les franchissements. L’épanouissement, les médiations sociales inter-classe (de genre) qu’il souligne pour faire valoir un cadre philosophique apaisé, s’est construit dans la stigmatisation-pathologisation, non d’une médiation-régulation de leur existence tel qu’il voudrait nous montrer dans cette comparaison ethno-quelquechose. [passage non lu dans mon intervention faute de temps]
Ce qui intéresse ici, ce n’est pas les (des) « trans » mais la thèse de la relativisation socioculturelle et des éventuels franchissements du système binaire sexe-genre, nature-culture ; par ailleurs à la défense du cadre universaliste à prétention anthropologique : toutes les médiations humaines s’effectuent dans le cadre d’une différence fondatrice, y compris et surtout un principe de la nature de l’humain qui suivrait un principe d’équilibre nature-culture. Mais comment comparer la société Inuit menacée d’extinction et le monstre tentaculaire Occident en rupture totale avec un quelconque principe unitaire ? Reste donc la question centrale de ce type d’études-discours mais débarrassée de ses scories sur l’état mental et moral du monde faisant un inventaire des erreurs d’hier, celui des médiations replaçant au centre les humains tels qu’ils sont et c’est à nous de les écrire, y compris en décryptant ce qui se décide sur nous sans nous et ne peut prétendre à un cadre philosophique digne de ce nom
.

Cette comminucation a été effectué le à Bruxelles dans le cadre du festival Tous les genres sont dans la culture organisée par l'association Genres Pluriels [http://www.genrespluriels.be/].

 

Références
Bernard Saladin D'Anglure, Réflexions anthropologiques à propos d’un «3e sexe social» chez les Inuit (2006), http://classiques.uqac.ca.
Marie-Antoinette Czaplicka, Aboriginal Siberia. A study in Social Anthropology, 1914, Oxford, Clarendon Press.
Nicole-Claude Mathieu, L'anatomie politique, Catégorisations et idéologies du sexe, éditions côté-femmes, 1991.
Sandra Bem, « Au-delà de l’androgynie. Quelques préceptes osés pour une identité de sexe libérée » in La différence des sexes, questions de psychologie, M. C. Hurtig et M. F. Pichevin (dir.), Éditions tierces, Paris, 1986.
Elisabeth Badinter, L’un est l’autre, Des relations entre hommes et Femmes, Odile Jacob, 1986.
Chiland, Colette, Changer de sexe. Paris, Odile Jacob, 1997.
Czermak, Marcel & Frignet Henri (dir.), Sur l’identité sexuelle. A propos du transsexualisme. Paris, Éditions de l’Association freudienne internationale, 1996.
Castel, Pierre-Henri, La métamorphose impensable. Essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle, Gallimard, Paris, 2003.
Mercader, Patricia, L’Illusion transsexuelle, Paris, L’Harmattan, 1994.
Novello Emmanuelle, communication Alliance, germanité et filiation chez les Hijras de Delhi (Inde), in Expériences et itinéraires transgenres, 16 mai 2008, Maison Méditerranéenne des sciences humaines (MMSH), http://www.mmsh.univ-aix.fr, proposé et animé par Laurence Hérault (anthropologue), Aix en Provence.
Anne-Marie Losconczy, De l’énigme réciproque au co-savoir et au silence, Figures de la relation ethnographique, in De l’ethnographie à l’anthropologie réflexive, Nouveaux terrains, nouveaux enjeux, Dir. Christian Ghasarian, Ed. Armand Colin, 2002.


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